Alors que la journée mondiale du diabète a eu lieu ce jeudi 14 novembre 2024, cette pathologie est au cœur des préoccupations de plusieurs parlementaires ultramarins. Le mardi 12 novembre, lors des questions au gouvernement, le député réunionnais Frédéric Maillot a demandé à ce qu'un médicament cubain, l'Heberprot-P, soit mis en expérimentation. Le remède permettrait d'éviter des amputations pour des patients atteints de diabète de type 2. Un dossier loin d'être nouveau, qui concerne pleinement La Réunion, où 250 patients ont encore été amputés l'année dernière (Photo : www.imazpress.com)
Le mardi 12 novembre 2024, lors des questions au gouvernement, le député de La Réunion Frédéric Maillot a alerté la ministre de la santé et de l'accès aux soins sur la prise en charge des patients atteints de diabète de type 2 qui se verraient touchés par une amputation du pied diabétique.
Le parlementaire a assuré devant l'auditoire qu'un traitement existe. "Il s’agit de l’Heberprot-P qui a été testé dans plus de 25 pays avec des taux de réussite plus qu’encourageant." Sa question avait donc pour but de "faire en sorte que ce traitement soit disponible en France et, a fortiori, en Outre-mer grâce à des essais cliniques qui pourraient réduire de manière considérable les amputations."
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À La Réunion, 14% de la population adulte est atteinte de diabète. Selon l'ARS OI, le diabète de type 2 entraîne des complications chroniques de plus en plus fréquentes : 3.300 patients diabétiques ont été pris en charge pour des complications rénales, podologiques et/ou cardiovasculaires en 2023. 250 ont été amputés d’un membre inférieur.
Geneviève Darrieussecq, la ministre de la Santé a cependant répondu que, pour ce médicament, elle n'a pas de réponse à donner "car il faut l'autorisation de mise sur le marché de l'agence européenne du médicament et à ce jour les laboratoires qui commercialisent n'ont fait aucune demande à l'agence. Je veux bien aider mais je ne peux pas faire de demande à la place des laboratoires afin d'avoir une étude clinique sur ce produit".
En effet, dès lors qu'un laboratoire pharmaceutique souhaite commercialiser un médicament, il doit déposer une demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès des autorités de santé compétentes du pays ou de la région ciblés. En France, c'est l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui est en charge de mener les travaux permettant d'autoriser, ou non, la commercialisation d'un médicament.
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L'ANSM est membre du réseau réglementaire européen des agences et coopère avec l'Agence européenne du médicament (EMA) et la Commission européenne. Si elle se dit impuissante, Geneviève Darrieussecq a néanmoins accepté un entretien avec le député réunionnais pour évoquer ce sujet … loin d'être nouveau.
Contacté, Frédéric Maillot s'indigne qu'un "médicament existe depuis si longtemps et que des patients continuent de perdre leurs pieds". Si, selon ses mots, il ne s'inscrit pas "comme un spécialiste", il est sensibilisé à ce sujet depuis son arrivée sur les bancs du palais Bourbon. Sa démarche se veut ainsi "une main tendue, un appel à dépasser les clivages politiques".
Il est d'ailleurs pleinement soutenu par André Chassaigne, le président du groupe Gauche démocrate et républicain à l'Assemblée nationale. Également président du groupe d'amitié franco-cubain, le 9 avril 2019, il interpellait déjà la ministre des solidarités et de la santé sur la possibilité de reconnaître les qualités thérapeutiques de l'Heberprot-P.
- Un médicament présenté comme "révolutionnaire" -
Le député du Puy de Dôme se plaignait que ce médicament présenté comme "révolutionnaire", ne soit "toujours pas autorisé en France, alors qu'il pourrait soulager de nombreux malades, notamment dans les zones très touchées par le diabète, comme en Guadeloupe, Martinique, Polynésie et autres collectivités d'outre-mer."
Six ans plus tôt, le 24 décembre 2013, le ministère de la santé avait déjà été interrogé par question écrite sur la possibilité d'autoriser ce médicament. Dans sa réponse du 26 mai 2015, le gouvernement avait assuré que "l'Heberprot-P, facteur de croissance recombinant (rhEGF) dans l'ulcère du pied diabétique, n'avait obtenu ni autorisation de mise sur le marché (AMM), ni fait l'objet d'une telle demande, que ce soit au niveau européen ou au niveau national."
Il était précisé que des firmes étaient néanmoins "impliquées dans le développement de ce type de vaccin et une demande d'avis scientifique avait été adressée à l'agence européenne du médicament (EMA)." Onze ans plus tard, aucun médicament utilisé en France ne permet d'éviter les amputations.
Pourtant, le médicament cubain semble avoir fait ses preuves. C'est en tout cas ce qui ressort du septième Congrès médical international sur les plaies et la cicatrisation du pied diabétique qui s’est tenu à Cuba, du 1er au 4 septembre 2024. Une délégation guadeloupéenne était sur place.
En effet, le Docteur Martin Mukisi, spécialiste en orthopédie traumatologie et le Docteur Henri Joseph, spécialiste en pharmacognosie, travaillent sur le sujet depuis plusieurs années. Avec les 250 autres experts, venus de 25 pays, ils ont échangé sur ce médicament inventé par le Professeur cubain Jorge Berlanga en… 2006.
- Un amendement doit être déposé au Sénat -
Lors de son passage en Guadeloupe, au mois de mai dernier, ce dernier a annoncé que les Etats-Unis ont validé les essais cliniques sur leur territoire. "Nous avons échangé avec l'ambassade cubaine, reprend Frederic Maillot. Nous ne sommes pas ministre donc nous n'avons pas vocation à faire de la discussion internationale." Ce mardi 19 novembre, une visioconférence est prévue avec les experts cubains et les experts guadeloupéens.
De quoi alimenter l'entretien futur avec la ministre. Par ailleurs, la question va également être reprise au Sénat par le biais d'un amendement. Frederic Maillot a pu échanger sur le sujet avec la sénatrice Évelyne Corbières. La délégation sénatoriale aux Outre-mer va prendre le flambeau "de manière à avoir un appui trans partisan".
Selon la sénatrice de l'île, un amendement co-signé par plusieurs élus ultramarins va être déposé dans le cadre du projet de loi de finance. "Nous souhaitons que des fonds soient débloqués pour démarrer une expérimentation, explique Evelyne Corbières. C'est une initiative de Monsieur Maillot mais nous nous y associons avec notamment la présidente de la délégation Outre-mer, qui fait partie du groupe Les Républicains, majoritaire au sénat".
Et la sénatrice d'ajouter: "Nous avons bien conscience que c'est un sujet qui devait devenir un sujet politique". Également contactée, la sénatrice Audrey Belim se dit prête à s'investir sur le sujet. De son côté, le sénateur Stéphane Fouasssin, médecin de profession, n'est pas contre une expérimentation.
"Si un amendement passe au sénat, je voterai pour." Le parlementaire souhaite néanmoins que cette expérimentation soit scrupuleusement cadrée de manière à éviter que les réunionnais, ne soient utilisées comme des cobayes."
Quant à savoir pourquoi rien n'a été fait depuis toutes ses années, Evelyne Corbières a une idée sur le sujet. "L'argent est le point central sur les problématiques de santé. Il est évident que les conséquences du diabète peuvent être fructueuses pour certains". Preuve que le sujet était jusqu'alors tabou, l’Heberprot-P est quasi inconnu, y compris par les associations locales.
- Une avancée mais… -
Corine Russo, de l'association Repère, n'en a pas entendu parlé. Même son de cloche pour Diane Baillieux, directrice de l'Association des jeunes diabétiques, "Je n'ai jamais eu aucun écho sur ce médicament", confie-t-elle.
Selon elle, à La Réunion, la population a tendance "à porter des chaussures ouvertes donc à se blesser plus facilement le pied. Le fait d'avoir trop de sucre dans le sang avec un diabète mal équilibré, entraîne une perte de sensibilité. Comme les petits vaisseaux sanguins sont endommagés par l'hyper glycémie, la circulation sanguine est moins importante, donc le sang amène moins d'oxygène sur la plaie ce qui entraine un retard de cicatrisation".
Un retard et une dégradation progressive de la plaie qui peut conduire à l'amputation. "Si cela peut permettre de favoriser la cicatrisation, ou de protéger davantage, c'est une bonne nouvelle", se réjouit la directrice de l'association. Cependant, Diane Baillieux veut rester mesurée et considère que les médicaments ne constituent pas une solution.
"Qu'est-ce qu'on met en place pour accompagner les 14% de la population diabétique et pour faire en sorte que ce chiffre diminue ? Le diabète, c'est une maladie sociale et du mode de vie. Vouloir tout résoudre avec un médicament, ce n'est pas résoudre le problème de fonds."
À noter que, si une expérimentation est lancée, le médicament devrait être testé sur des territoires où le taux de diabète est élevé, en concertation avec les ARS. La Réunion, à l'instar de la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique ou encore Mayotte, est donc pleinement concernée.
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Diabète : un médicament "révolutionnaire" pour éviter les amputations