Après avoir bouleversé le traitement du mélanome avancé, l’immunothérapie constitue aujourd’hui une réelle avancée pour de nombreux autres cancers. Néanmoins, elle n’est pas efficace chez tous les patients et n’est pas dénuée d’effets secondaires. Doctissimo fait le point sur les avancées, les espoirs et les enjeux liés à ces nouveaux médicaments.
Les avancées de ces dernières années ont été rendues possibles grâce à une meilleure compréhension des mécanismes immunitaires. Dès 2013, Science avait identifié l'immunothérapie comme l’avancée scientifique de l’année. Depuis, l’immunothérapie est devenue le domaine de recherche le plus important en cancérologie. L’occasion pour nous de faire le point sur ce que recouvre cette discipline, ses applications et ses enjeux.
Les principes de l’immunothérapie contre le cancer
L’immunothérapie contre le cancer vise à mobiliser le système immunitaire pour qu’il détruise les cellules tumorales. On peut schématiquement distinguer trois stratégies :
- Stimuler la réponse immunitaire immédiate. Le rôle de l'immunité innée est de détecter et de s’attaquer aux menaces, même si l’organisme n'a encore jamais eu à y faire face, à la différence de l’immunité adaptative qui confère une protection plus tardive mais plus durable. Cette technique a quelques rares applications en cancérologie (comme les instillations intravésicales de BCG pour des formes superficielles de cancer de la vessie) et des études en cours (comme contre le cancer de la plèvre ou contre le cancer du col de l'utérus au stade métastatique comme l'a montré une étude présenté lors du congrès américain sur le cancer ASCO 2014)1.
- Éduquer le système immunitaire. C’est le principe du vaccin thérapeutique, qui consiste en l’administration d’une préparation d’antigènes tumoraux associés à un adjuvant, avec pour objectif le développement d’une réponse immunitaire spécifique contre les cellules tumorales porteuses de l’antigène ciblé. Certains vaccins ont obtenus des autorisations de mise sur le marché (comme Provenge ® pour des formes métastatiques de cancers de la prostate résistants au traitement hormonal). Pour en savoir plus sur cette approche, découvrez la vidéo très bien vulgarisée de l’Institut Curie : "Un vaccin contre le cancer, est-ce possible ?".
- Déverrouiller la réponse immunitaire. L’immunomodulation anti-tumorale est la stratégie qui est aujourd’hui la plus prometteuse. En schématisant, la cellule tumorale est capable d’échapper à la vigilance du système immunitaire notamment en inhibant l’activation des lymphocytes T (soldats de l’immunité). De nouvelles immunothérapies anticancéreuses peuvent aujourd’hui cibler ces modulateurs-clés de l’immunité (on parle aussi de "checkpoints immunologiques"). Aujourd’hui, deux catégories de médicaments sont principalement étudiées : les anti-CTLA-4 et les anti-PD-1/anti-PD-L1. C’est cette voie qui est l’objet de tous les espoirs.
L’immunothérapie efficace sur de nombreuses tumeurs solides
L’immunothérapie a déjà changé le traitement et le pronostic du mélanome avancé avec un médicament déjà commercialisé (Yervoy ®, un anti-CTLA-4) et d’autres (des anti-PD1 et anti-PD-L1) déjà utilisés dans le cadre d’essai thérapeutique et qui devraient rapidement arriver sur le marché. Cette année au congrès américain sur le cancer, un premier essai de combinaison d’immunothérapies contre le mélanome a même été présenté. Les applications potentielles sont aujourd’hui multiples avec des résultats intéressants face aucancer du poumon, au cancer du foie, au cancer tête et cou, cancer de la vessie…
Ipilimumab, nivolumab, atezolizumab… derrière les noms barbares de ces molécules se cachent aujourd’hui les géants de la pharmaceutique (BMS, Merck, Roche, Astrazeneca…) et une multitude de startups de biotechnologie. L’enjeu est médical, mais aussi économique car ces produits sont excessivement coûteux. Le seul actuellement commercialisé en France, le Yervoy ® nécessite quatre perfusions au prix de 20 000 euros chacune.Selon un article de 2014 de la revue Business Week, le marché potentiel de l'immunothérapie est estimé à quelque 35 milliards de dollars par an.
Les futurs enjeux de l’immunothérapie anticancéreuse
Aujourd’hui, malgré les promesses de l’immunothérapie, plusieurs questions restent en suspens.
IDENTIFIER LES PATIENTS RÉPONDEURS À L’IMMUNOTHÉRAPIE
La première et la plus importante réserve est que tous les patients ne répondent pas à ces traitements. Chez certains, ils auront des résultats spectaculaires,alors que chez d’autres, ils n'auront aucune action (en dehors des effets secondaires)… L’un des enjeux est donc de pouvoir identifier ceux qui vont en bénéficier avant de leur prescrire. Deux pistes principales ont été avancées lors du congrès de l’ASCO (elles restent à confirmer) :
- La recherche de PD-L1 sur la tumeur (plus le niveau est élevé, plus le traitement fonctionne. Mais ce n’est pas aussi simple, puisqu’un anti-PD1 peut également fonctionner sur des tumeurs qui n’expriment pas ou peu PD-L1 à leur surface…). Au mieux, on peut identifier les patients qui vont beaucoup bénéficier du traitement mais on ne peut pas isoler ceux chez qui il sera inefficace ;
- La mutation MMR (pour "Miss Match Repair") qui traduirait une moindre capacité de certaines cellules tumorales à réparer les dégâts engendrés par leur multiplication anarchique, ce qui pourrait la rendre plus "repérable" par le système immunitaire redevenu opérant grâce à ces nouveaux médicaments.
EVALUER LES ASSOCIATIONS D’IMMUNOTHÉRAPIES, DE THÉRAPIES CIBLÉES ET DE CHIMIOTHÉRAPIES
Quelle va être la place de l’immunothérapie dans la prise en charge des cancers par rapport aux thérapies ciblées voire à la chimiothérapie classique ? Lors du congrès de l'ASCO 2015, quelques études associant ces composés ont été présentées, mais de nombreux essais cliniques seront nécessaires avant d'identifier les "cocktails" les plus utiles pour chaque patients. Au-delà de l’efficacité, il faudra être attentif aux effets secondaires importants de ces produits. Pour certains patients, certaines combinaisons pourraient avoir plus de risques liés aux effets secondaires que de bénéfices. D’autre part, on ne connaît pas encore les effets potentiels de ces médicaments sur le long terme (on craint en particulier des complications auto-immunes).
EVALUER LES RÉSULTATS DE CES IMMUNOTHÉRAPIES À DES STADES MOINS AVANCÉS DES CANCERS
Si l’efficacité de ces produits se confirme (chez les patients répondeurs), on pourra, comme on l’a fait avec certaines thérapies ciblées, les proposer plus tôt dans la prise en charge. Les études présentées jusqu’alors concernent des formes avancées de cancer, pour lesquelles on dispose de peu d’options thérapeutiques. Demain, on pourrait recourir à l'immunothérapie plus tôt, sur des cancers moins avancés.
EVALUER LA DURÉE OPTIMALE DU TRAITEMENT
Contrairement aux traitements classiques, la durée optimale de prescription reste difficile à évaluer. On a vu dans le cadre de différents essais cliniques que certains patients qui avaient arrêté le traitement en cours d’étude bénéficiaient quand même de l’action de ces immunothérapies, comme si la "rééducation" du système immunitaire avait un effet rémanent.
Pour autant, les derniers résultats permettent de parler d'une possible révolution dans le traitement des cancers, y compris les plus agressifs pour lesquels les solutions sont aujourd'hui très limitées.
- David Bême
Créé le 01 juin 2015