L'ordinateur est-il notre nouvel ennemi ? Les troubles musculosquelettiques, représentés en particulier par le syndrome du canal carpien, sont de plus en plus fréquents. L'évolution des modalités de travail semble jouer un rôle important dans le développement de ce type de pathologie, à l'origine de nombreuses interventions chirurgicales.
Nos tendons et articulations payent-ils aujourd'hui la note de l'organisation du travail en place depuis une trentaine d'années ? En 2000, sur 32 000 maladies professionnelles reconnues par le régime général et le régime agricole de la sécurité sociale, 22 000 concernaient des troubles musculosquelettiques ( TMS) du membre supérieur ou inférieur.
A la force du poignet
Le membre supérieur, contraint à des mouvements répétitifs nocifs pour les articulations, est le plus exposé. Selon les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) :
- 50 % des TMS déclarés comme maladie professionnelle atteignaient le poignet ;
- 26 % l'épaule ;
- 20 % le coude ;
- Tandis qu'à peine 5 % concernaient les membres inférieurs.
Le syndrome du canal carpien se taille la part du lion puisqu'il représentait la quasi-totalitéé des TMS du poignet, soit près de la moitié de l'ensemble des TMS des membres.
80 000 opérations par an
Lié à une compression du nerf médian du poignet, le syndrome du canal carpien représente l'une des premières causes d'intervention chirurgicale en France. On compte environ 80 000 opérations par an dans l'hexagone.
Il se manifeste par des fourmillements ou un engourdissement des doigts, d'abord nocturne, puis permanent. Il s'accompagne d'une diminution de la force musculaire se traduisant par une fatigabilité et une maladresse des doigts. Si le port d'une attelle la nuit ou des infiltrations de corticoïdes peuvent suffire à soulager les symptômes dans les premiers stades, la chirurgie peut être indispensable pour ouvrir le ligament annulaire du carpe qui forme le canal carpien et enserre le nerf médian.
La viande plus dangereuse que le poisson
S'il est impossible de citer des chiffres précis, de nombreuses enquêtes semblent indiquer qu'un nombre croissant de syndromes du canal carpien sont liés à un facteur professionnel. La répétition de mouvements de flexion et d'extension, la préhension serrée, les appuis sur la paume, les vibrations (outils vibrants) sont autant de gestes qui semblent augmenter le risque.
Les travailleurs du secteur secondaire sont les plus exposés. Ils forment le gros du contingent des TMS reconnues comme maladies professionnelles.
L'industrie de la viande (abattoir, découpe de viande) vient en premier, avec 800 TMS des membres pour 100 000 salariés exposés, suivie de près par la découpe du poisson (750 cas pour 100 000), puis la fabrication d'appareils électroménagers (600 cas/100 000). Mais les mouvements répétitifs et les cadences infernales ne sont pas limités au secteur secondaire et les caissières, les coiffeuses, les couturières, les musiciens, les travailleurs sur écran, entre autres, sont exposés au syndrome du canal carpien.
Par le nombre des salariés concernés, l'informatique mérite une attention particulière. Les utilisations inadéquates sont fréquentes, avec notamment des claviers d'ordinateurs posés trop haut."Le travail sur écran expose à des atteintes du poignet et de l'épaule avant tout, qui vont de simples douleurs sans diagnostic précis, à la tendinopathie de la coiffe des rotateurs, à l'épaule ou à un véritable syndrome du canal carpien, au poignet, explique le Dr Michel Aptel (laboratoire de biomécanique et d'ergonomie, département homme au travail, INRS, Vandoeuvre). Je n'ai pas d'idée précise aujourd'hui du nombre de personnes concernées par ces maladies. Par contre une enquête du Ministère du travail estime qu'il y a trois millions de personnes qui travaillent sur ordinateur et sont potentiellement exposées".
L'explosion des cas
L'incidence des syndromes du canal carpien s'est considérablement accrue au cours des dernières années, au point que Le Monde parlait récemment d'une "épidémie des temps modernes". Une meilleure connaissance de cette pathologie explique certainement en partie cette étonnante recrudescence.
Le tableau des TMS, permettant la reconnaissance comme maladie professionnelle, existe depuis 1972 et a été largement modifié en 1991. Ces rectifications ont notamment élargi les conditions d'exposition ouvrant droit à la reconnaissance. Le syndrome du canal carpien n'y a été introduit qu'en 1978.
La rançon de la rentabilité
Pour Michel Aptel, ce sont les nouvelles modalités d'organisation du travail qui ont le plus pesé sur l'émergence du risque. "Depuis les années 1970 et la crise, les salariés sont plus sollicités en matière de répétition des gestes, de dépendance au travail, d'appauvrissement des tâches et de polyvalence. Les temps de pause sont minutés, les exigences de rendement sont très fortes. Il faut être réactif et souple".
Mesurer les conséquences de cette évolution reste difficile, car il n'est pas toujours aisé de relier au travail des douleurs qui peuvent apparaître banales. L'expérience, dans ce domaine, est courte. "On a commencé à s'intéresser sérieusement aux conséquences de l'évolution des conditions de travail vers le milieu des années 1980, observe Michel Aptel, quand la demande sociale est devenue forte".
- Dr Chantal Guéniot
Mis à jour le 10 février 2009