Depuis des générations, la famille de l’écrivain américain Ernest Hemingway est victime d’une étrange série de suicides. Légende urbaine ou réalité médicale?
Ernest Hemingway et sa femme dans les années 1960 I AFP
Après le suicide de sa sœur, les journaux ont titré: «La malédiction des Hemingway». Mais pour Mariel, c’est juste une phrase. «J’évite l’alcool et les drogues et j’essaie de garder un taux de glycémie stable.» Un régime équilibré et quelques séances de yoga finissent de conjurer le mauvais sort, jure-t-elle. La petite-fille d’Ernest Hemingway sait qu’elle doit rester sur ses gardes. Depuis quatre générations, sept membres de sa famille ont mis fin à leurs jours.
Par une après-midi de décembre, Clarence Hemingway rentre chez lui. Il brûle des papiers personnels dans l’âtre, puis monte à l’étage pour se coucher sur son lit. Son fils, Leicester, est dans la pièce à côté. La fièvre l’a obligé à rester à la maison. Il entend un coup de feu, se précipite dans la chambre. Clarence Hemingway vient de se tirer une balle dans la tête avec le revolver de son propre père. Nous sommes en 1928, et son autre fils, Ernest Hemingway a 29 ans. Plus tard, il confiera: «Je m’attends à partir de la même façon.»
«Je pense qu’il aurait aimé que tout se passe ainsi»
En 1961, Ernest Hemingway est dans un sale état. Son diabète ne s’arrange pas, sa dépression encore moins. Il vient d’être hospitalisé pour hypertension et traînerait une «vieille hépatite». Le soleil se lève à peine en ce premier matin de juillet quand sa femme, Mary Welsh, entend le coup de feu depuis son lit. Elle court jusqu’au bureau de son mari. Il est là, son fusil préféré à ses pieds. L’écrivain s’est envoyé une cartouche dans la cervelle.
Comme pour en faire une affaire divine, Mary Welsh dira à maintes reprises qu’il a été victime d’un accident de nettoyage de canon. L’argument ne tient pas. Ernest Hemingway maniait les armes à feux depuis sa tendre enfance –une passion tenue de son père. Bien plus tard, l’épouse de l’auteur admettra qu’il s’agissait bel et bien d’un acte volontaire. À son enterrement, son frère Leicester dira: «Je pense qu’il aurait aimé que tout se passe ainsi.»
La malédiction continue
La petite sœur d’Ernest, Ursula Hemingway, vit de ses œuvres d’art à Honululu. Elle a lancé le prix «Ernest Hemingway» récompensant les meilleurs étudiants en creative writing de l’université d’Hawaï. En 1965, alors qu’elle est atteinte d’un cancer et souffre de dépression, elle met fin à ses jours en avalant des médicaments par poignées.
En 1982, Leicester Hemingway –lui aussi diabétique– apprend qu’il va devoir subir une amputation des deux jambes. Il refusera cette ultime opération en se tirant une balle dans le crâne dans sa maison de Miami Beach. Il était également romancier.
Ernest Hemingway a eu trois fils. L’aîné, Jack, a eu lui-même trois filles: Joan, Margaux et Mariel. En 1996, trente-cinq ans jour pour jour après le suicide de son grand-père, Margaux Hemingway engloutit beaucoup trop de phénobarbital, un médicament prescrit contre l’anxiété. Sa famille parle d’un «accident». Si les journaux relatent son décès, c’est que Margaux Hemingway est une mannequin et actrice reconnue. Dans les années 1970, elle a été la première à décrocher un contrat à un million de dollars. Dix ans plus tard, Mariel admettra publiquement que sa sœur s’est suicidée et que ce geste la hante encore.
«Tout ce que je voulais, c’était être un héros Hemingway»
Quelle est l’emprise de notre famille? Sommes-nous maudits par les gènes ou par l’éducation, ou bien peut-on se libérer de sa propre histoire?
Grégory Hemingway est le dernier fils d’Ernest. L’écrivain américain le décrit comme étant «la part la plus sombre de la famille, à l’exception faite de moi-même». En 2001, les policiers de Key Biscane, en Floride, reçoivent un appel concernant un individu marchant nu dans les rues. Grégory Hemingway a une robe à son bras et des talons aiguilles noirs à la main. Il est arrêté et envoyé en prison. Après une vie marquée par l’alcool et la drogue, son cœur lâche finalement dans la cellule de la prison pour femmes de Miami-Dade.
Grégory, qui se faisait aussi appelé Gloria, souffrait d’une dysphorie de genre. Ses relations avec son père étaient pour le moins compliquées. À 19 ans, lorsque sa mère meurt, le patriarche le tient pour responsable. Elle serait morte, dit-il, de tout le souci qu’il a causé à la pauvre femme. Dans une autobiographie intitulée Papa, il écrit: «Tout ce que je voulais, c’était être un héros Hemingway.»
«Nous étions comme la famille Kennedy»
En 2013, Mariel Hemingway fait l’objet d’un documentaire présenté au festival Sundance. Dans Running from Crazy, elle revient sur son arbre généalogique et raconte comment elle a souffert à son tour de dépression et de pensées suicidaires. «Nous étions comme la famille Kennedy, qui a connu d’horribles tragédies. Nous étions cette autre famille américaine poursuivie par cette horrible malédiction.»
En 1980, elle est nommée aux Oscars pour son rôle dans Manhattan de Woody Allen. L’ironie veut que huit ans plus tard, elle joue dans un film intitulé The Suicide Club. Devenue coach de vie, elle milite désormais pour la prévention contre le suicide et demande à Hollywood de ne pas «faire de la drogue un acte glamour».
«Il y a parfois un malentendu sur ce que je suis. Et je comprends. “Avec sa vie, qu’est-ce qu’elle va me dire?”. Je comprends, okay? Je me dirais la même chose. Mais devine quoi, j’ai une flopée d’histoires de merde dans ma famille, et j’ai peur moi aussi», raconte-t-elle face caméra.
Peu de temps avant sa mort, Ernest Hemingway a été diagnostiqué avec une hémachromatose. Des recherches montrent qu’il aurait aussi été bipolaire. Depuis Grégory, plus aucune mort étrange ni violente n’a été enregistrée chez les Hemingway. Pour Mariel, aujourd’hui, la malédiction semble enfin être terminée.
Slate.fr vous propose une série d'histoires mystérieuses autour de grands écrivains. Pour retrouver les récits précédents, cliquez ici
http://www.slate.fr/story/147129/la-malediction-hemingway?