LE PLUS. Horaires décalés, manque d'effectif, frustration...
Depuis trois ans, Emma P. (nom d'emprunt), est infirmière de nuit. Si son métier la passionne, ses conditions de travail l'épuisent et l'inquiètent de plus en plus.
Elle raconte son quotidien nocturne à l'hôpital.
Une infirmière à l'hôpital d'Argenteuil, en 2013 (FRED DUFOUR / AFP).
Infirmière de nuit depuis trois ans, je suis déjà désabusée. J’aime profondément mon métier et je n’en changerai pour rien au monde, mais le rythme de vie qui est devenu le mien est éreintant et mes conditions de travail sont aberrantes.
Une réalité difficile à vivre
Cette profession, je l’ai choisie pour la proximité avec les patients. Leur apporter un soutien et les aider à faire face à la souffrance, c’est ce qui m’anime.
Travailler en décalé, c’est aussi un vrai choix. Pendant mes études, j’avais exercé de jour, puis de nuit et cette seconde expérience m’avait passionnée.
La nuit, les effectifs sont réduits et les équipes sont plus soudées. C’est aussi le moment où les patients se retrouvent seuls face à eux-mêmes. Leurs angoisses ressurgissent et l’aspect relationnel du métier prend davantage d’importance.
En choisissant ce mode de vie, je voulais aussi gagner en autonomie : la nuit, les médecins ne sont pas dans le service, j’ai donc dû apprendre à me débrouiller seule. Pour progresser, c’est la meilleure des écoles.
Malheureusement, tout ce qui m’avait au départ attirée dans la nuit se révèle aujourd’hui difficile à vivre.
À l'hôpital de 20h à 6h45
Évidemment, quand on travaille en décalé, le rythme au quotidien n’a rien d’évident, mais je l’ai choisi et je l’assume, même si je ne pourrai certainement pas faire ça toute ma vie.
Je travaille deux à cinq jours par semaine, de 20h à 6h45, pour environ 1.800 euros par mois. Le matin, quand je rentre à la maison, je prends mon petit-déjeuner, je me douche, puis j’essaye d’évacuer la pression de la nuit en regardant un film ou en faisant du rangement. En général, je ne m’endors jamais avant 9h… c’est le temps qu’il me faut pour avoir l’esprit libre.
Je me réveille ensuite entre 14h et 15h et je n’ai pas vraiment le temps d’émerger : si je veux avoir une vie sociale, je suis bien obligée de me dépêcher.
L'apéritif à l'heure du petit-déjeuner
Il m’arrive parfois d’aller boire l’apéritif avec mes amis sur les coups de 18h. C’est assez déstabilisant : alors que je devrais être en train de déjeuner, je me retrouve à boire une bière. À force, on prend l’habitude.
Si j’arrive à avoir une vie sociale, je me suis quand même éloignée de certains amis du fait de nos modes de vie opposés.
Il en va de même pour la vie sentimentale : travailler de nuit n’aide pas à faire des rencontres. Le jour où je rencontrerai quelqu’un, je songerai sûrement à reprendre un rythme normal.
Mon corps vieillit prématurément
Quand on travaille de nuit, la fatigue s’accumule vite. J’essaye de la dissimuler en buvant du café : certaines nuits, il m’arrive d’en consommer jusqu’à six.
Comme beaucoup d’infirmières de nuit, je sens que mon corps vieillit prématurément. J’ai beaucoup plus de douleurs qu’avant et je récupère moins facilement.
À force d'être surexposée à la lumière jour et nuit et de travailler sous les néons de l’hôpital, j’ai aussi développé des problèmes de vue. Chose encore plus étrange : dès que j’ai commencé à travailler de nuit, j'ai eu des caries. Le dentiste m’a dit que cela avait un lien avec mon rythme de vie.
Sur le papier, les infirmiers de nuit sont contrôlés deux fois par an par la médecine du travail. Mais dans les faits, nous n’avons qu’un seul contrôle annuel et celui-ci ne me paraît pas plus approfondi que pour un infirmier de jour.
"C’est pour ça que vous m’appelez ?"
Pourtant, il y a une vraie différence. Les infirmiers de jour ont beaucoup à faire, mais la nuit, on ne peut quasiment compter que sur soi-même. Parfois, les médecins de garde ne daignent pas se déplacer pour examiner certains patients ou me disent :
"C’est pour ça que vous m’appelez ?"
La nuit, nous devons donc redoubler de vigilance, même si beaucoup d’infirmiers de jour pensent que nous ne sommes pas vraiment occupés. Ainsi, certains nous confient les soins qu’ils auraient dû réaliser dans la journée et nous disent :
"Je n’ai pas reperfusé ce patient, car vous aurez plus de temps que moi !"
Ce genre de réflexion m’agace tellement, que je préfère y répondre de manière ironique, en disant :
"Vous avez raison, nous ne sommes que de simples veilleurs de nuit après tout !"
Un infirmier pour 20 à 30 patients
J’aimerais que les gens réalisent que notre charge de travail est énorme, tout comme nos responsabilités.
Quand on travaille de nuit, il n’y a bien souvent qu’un infirmier et qu’un aide-soignant pour environ 20 à 30 patients. Au mieux, nous sommes deux infirmiers et deux aides-soignants par service.
L’organisation devient donc vite un casse-tête. À 20h, lorsque j’arrive au travail, c’est le moment de la relève avec les équipes de jour. Comme ma hiérarchie me fait sans cesse changer de service, je prends le temps d'éplucher les dossiers des patients, avant de préparer les soins.
D'étranges surprises
À 21h, c’est l’heure du premier tour de soin. Injections, perfusions, comprimés, tension, saturation, glycémie… Je donne les traitements aux patients tout en effectuant les vérifications nécessaires.
À ce stade, je me rends régulièrement compte que certaines choses ont échappé à la vigilance des équipes de jour, par manque de temps. Et il m’arrive d’avoir d'étranges surprises.
J’ai déjà retrouvé dans le lit d'un patient une seringue électrique qui devait être reliée à ses perfusions pour administrer en continu un médicament ayant pour but de stabiliser sa tension artérielle. Il m'est également arrivé de constater qu'un dispositif médical posé au bloc opératoire, diffusant un anesthésiant local directement dans la loge opératoire n'avait jamais était relié, mais simplement posé dans le lit du malade...
Je dois avoir les yeux partout
Je dois donc être extrêmement vigilante et avoir les yeux partout… cela prend du temps. Alors que dans les faits je devrais terminer ce premier tour de soin aux alentours de 22h30, je le finis souvent vers minuit, heure où débute normalement le deuxième tour.
Pour rattraper ce retard dû au manque d’effectif, je ne prends pas toujours le temps de manger. Une fois il m’est arrivé de dîner à 4h du matin.
Contrairement à ce que l’on entend souvent, je ne reste pas des heures assise dans l’office à lire, à regarder des films, ou à dormir. Pour ma part, je ne me suis jamais assoupie au travail. Et quand bien même cela aurait été le cas, il n’y aurait rien de honteux. Une courte sieste la nuit équivaut à une pause-café en journée.
J'ai très peu de répit
Après avoir avalé mon repas en vitesse, je vérifie à nouveau tous les dossiers, je prépare les bilans sanguins du lendemain, les piluliers et les commandes, je range la pharmacie, tout en gérant les patients envoyés par les urgences et les sonnettes qui ne s’arrêtent jamais de retentir.
À trois heures du matin, je me rends auprès des patients qui ont besoin d’une surveillance régulière. Vers 4h, il m’arrive d’avoir un peu de répit jusqu’à 5h, heure du dernier tour de soin. Lors de ce tour, en plus des injections, des perfusions et des surveillances, je dois réaliser les bilans sanguins des patients. Cette phase très chargée est donc bien souvent source de stress, car il n'est pas facile de tout terminer dans les temps.
Si ce rythme est épuisant, ce n’est pas ce qui me dérange le plus dans mon métier. Je suis davantage choquée par ce que mes conditions de travail et le manque de personnel engendrent sur les patients.
Réveiller les patients pour les soigner
Comme je suis bien souvent la seule infirmière du service, mon tour de soin dure longtemps et je dois, chaque nuit, réveiller les malades pour leur donner leur traitement. Ce n’est pas normal : ils sont à l’hôpital pour se reposer et pour se faire soigner. Au lieu de ça, nous les perturbons.
Ce manque d’effectif peut aussi mettre en danger la santé des patients.
Parfois, je suis tellement accaparée par les sonnettes, les retours de blocs et les patients venus des urgences, que je ne peux pas commencer mon tour de soin avant 21h45. Il m’arrive aussi de rester une heure dans la chambre d'un patient, quand son état de santé est préoccupant, quand ses pansements sont à refaire ou quand toutes les prescriptions doivent être mise à jour. Pendant ce temps, les autres patients sont livrés à eux-mêmes.
Un soir j'ai retrouvé le dernier patient du service à la limite du coma hypoglycémique. Chose qui n'aurait jamais dû se produire et qui n'aurait pas eu lieu si j'avais eu la possibilité de me rendre plus tôt dans sa chambre pour contrôler sa glycémie.
Des situations "limites"
Quand un patient déjà affaibli subit une grosse chirurgie ou que son état de santé se dégrade dangereusement, un transfert en réanimation ou en unité de soins intensifs est nécessaire. Mais, par manque de place, il arrive que nous devions garder les patients dans notre service.
Je dois alors prodiguer les mêmes soins et les mêmes surveillances qu'en unité de soins intensifs, qui disposent d'un infirmier pour quatre patients, d'un matériel beaucoup plus sophistiqué et performant, ainsi qu'un médecin présent.
Ces situations "limites" mettent de manière évidente et alarmante les patients en danger et peuvent aussi très rapidement engager notre responsabilité professionnelle. Elles ne sont malheureusement pas exceptionnelles : durant mes quatre dernières semaines de travail, j'ai été confrontée à quatre reprises à ce type de problème.
Je ne suis ni un robot, ni Wonder Woman
Ces conditions de travail aberrantes doivent évoluer. Et pour cela, il n’y a pas d’autre solution que d’embaucher davantage de personnel paramédical.
Les hôpitaux sont dans une logique budgétaire et les décisions sont prises par des bureaucrates, qui ne sont jamais venus sur le terrain. Pourtant, c’est à mon sens un passage obligé pour comprendre la situation dans laquelle se trouve le personnel hospitalier aujourd’hui.
Trois ans après avoir débuté dans la profession, je suis toujours passionnée par mon métier, mais je suis frustrée, car j’aimerais pouvoir en faire plus pour les patients. Et je ne parle même pas du stress énorme que génèrent ces conditions de travail et la mise en danger des patients.
Malheureusement, même si je donne le meilleur de ma personne, je ne suis ni un robot, ni Wonder Woman.
Propos recueillis par Anaïs Chabalier
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1502907-infirmiere-de-nuit-je-suis-desabusee-le-manque-d-effectif-met-les-patients-en-danger.html?
C'est un vrai calvaire pour des gens qui ont un amour de leur métier, cela m'écoeure
Bisou et .... à la prochaine
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