Par Marie-Josée Bettez
La nouvelle a créé une véritable onde de choc : il n’y a plus, dans les écoles relevant de la Commission scolaire de Montréal (CSDM), d’aliments interdits en raison d’allergies. Même les arachides et les noix sont permises dans les boîtes à lunch des élèves.
La directive de la CSDM clarifiant sa politique à propos des allergènes a été portée à l’attention du public le 30 mai dernier grâce à un article publié dans le quotidien La Presse. Cette approche peut être résumée en quelques mots : aucun allergène banni et plus de « police » de la boîte à lunch (autrement dit, le personnel scolaire n’est plus autorisé à confisquer les lunchs des élèves en raison de la présence d’allergènes). La CSDM invite tout de même les parents « à contribuer à faire de l’école un milieu sécuritaire en demeurant vigilants et en tentant de ne pas mettre les aliments qui causent des allergies sévères dans les lunchs de leur enfant. »
Une question controversée
Pour ou contre l’interdiction des allergènes à l’école ? La question est délicate et soulève les passions.
Une politique d’exclusion réduit certes les risques d’exposition, mais elle est loin de les éliminer entièrement. D’abord, parce qu’elle présuppose la collaboration, jour après jour, de tous les parents d’élèves : lecture attentive des listes d’ingrédients, recherche de substituts, etc. Même en présumant de la bonne volonté de chacun, convenons que le défi est de taille ! Ensuite, parce que cette mesure est excessivement difficile à faire respecter de façon stricte par les écoles. La « police » des lunchs a ses limites !
Pour ces raisons, il se peut que l’interdiction d’aliments crée un faux sentiment de sécurité chez les élèves allergiques. D’une manière un peu perverse, cette politique pourrait même amener certaines écoles à baisser la garde et à négliger la mise en place de mesures de prévention additionnelles pourtant essentielles.
Et puis, convenons qu’avec la prolifération des allergies alimentaires, il est irréaliste de retirer tous les allergènes des écoles. Comment sélectionner ceux qui devront être bannis ? Parce que les arachides et les noix sont responsables de plus du tiers des réactions anaphylactiques et que les arachides sont en cause dans la majorité des décès, ces aliments sont ceux qui sont le plus souvent ciblés. Mais ces allergènes ne sont pas les seuls à faire des victimes.
Les décès de Sabrina Shannon et de Megann Ayotte Lefort ont été causés par le lait. Les œufs, le sésame, les fruits de mer, le poisson, la moutarde, le kiwi (pour ne nommer que ceux-là) peuvent également entraîner des réactions allergiques très graves. Doit-on aussi bannir ces aliments ?
Et que faire dans le cas d’allergies difficilement compatibles ? Supposons, par exemple, qu’un élève soit allergique aux produits laitiers tandis qu’un autre l’est au soya. Le soya, on le sait, est un substitut naturel en cas d’allergie au lait. Comment arriver à concilier ces besoins opposés ?
Il est facile de comprendre l’exaspération des parents d’élèves qui ne souffrent d’aucune allergie et qui doivent malgré tout composer avec une longue liste de restrictions. N’y a-t-il pas un risque que l’interdiction de ces aliments entraine un ras-le-bol généralisé dont les élèves allergiques seront les premiers à souffrir ?
La charrue avant les bœufs
De ce qui précède, on aura compris mon malaise face à l’interdiction d’allergènes dans les écoles, surtout lorsque cette politique touche d’autres aliments que les arachides et les noix.
Il y a des années, lorsque la directrice de l’école primaire que fréquentait mon fils Christophe m’a proposé d’interdire certains des nombreux aliments auxquels celui-ci était allergique, j’ai décliné son offre. Par contre, j’ai eu de longues discussions avec les membres du personnel scolaire à propos du protocole mis en place par l’école pour assurer la sécurité et l’intégration des enfants allergiques et j’ai insisté pour que certaines des mesures adoptées soient resserrées. Là-dessus, je n’ai jamais fait de compromis.
Et c’est à cet égard que la décision de la CSDM de permettre le retour des arachides et des noix dans ses écoles est inquiétante. Le retrait de cette mesure de prévention doit obligatoirement s’inscrire dans le cadre d’un solide plan global de gestion des allergies alimentaires. Est-ce bien le cas ?
La CSDM insiste sur le fait que le partage de la nourriture est interdit à l’école et encourage les élèves à se laver les mains avant et après les repas. C’est un début, mais cela ne suffit pas et plusieurs questions cruciales demeurent sans réponse. Parmi celles-ci :
- L’ensemble des membres du personnel (y compris les employés suppléants) des écoles montréalaises est-il informé de l’identité des élèves allergiques ?
- Un plan d’intervention est-il établi pour chaque élève allergique ?
- Permet-on aux élèves allergiques de porter leur auto-injecteur d’épinéphrine sur eux en tout temps ?
- La trousse d’urgence des écoles contient-elle des auto-injecteurs additionnels ?
- Les membres du personnel scolaire reçoivent-ils une formation sur l’anaphylaxie et, si oui, à quelle fréquence ?
- Sont-ils en mesure de reconnaître les symptômes d’une réaction allergique grave et savent-ils comment intervenir le cas échéant ?
- Les élèves font-ils l’objet d’une surveillance attentive lors des repas et collations ?
- Les surfaces contaminées (tables, pupitres, etc.) sont-elles bien nettoyées ?
- A-t-on recours à des récompenses non comestibles ?
- Limite-t-on l’utilisation de la nourriture pendant les cours ?
Il est absolument essentiel que le personnel scolaire sache reconnaître les symptômes d’une réaction anaphylactique et qu’il applique sans délai les mesures d’urgence requises. Le décès de la petite Megann Ayotte Lefort est un rappel douloureux de ce qui peut se produire lorsque ce n’est pas le cas. Megann est décédée à son école à la suite d’une réaction allergique. En dépit du fait qu’elle éprouvait des difficultés respiratoires manifestes, elle n’a pas reçu en temps opportun l’injection d’épinéphrine qui aurait peut-être pu lui sauver la vie. Lorsque les services d’urgence ont finalement été contactés, il était trop tard pour la fillette montréalaise de six ans.
Il ne faut plus jamais qu’un tel drame se produise.
Un protocole uniforme
La décision de la CSDM et le brouhaha qui s’en est ensuivi mettent en lumière la nécessité d’adopter une politique uniforme encadrant l’anaphylaxie dans TOUTES les écoles québécoises.
À l’heure actuelle, la gestion des allergies alimentaires est décentralisée : elle varie d’une commission scolaire à l’autre, voire d’une école à l’autre au sein d’une même commission scolaire. Dans ce domaine, le Québec accuse un important (et surprenant) retard. En Ontario, une loi exige que tous les conseils scolaires de la province élaborent une politique uniforme relative à l’anaphylaxie. D’autres provinces canadiennes et des états américains ont également adopté des politiques en cette matière.
Je milite depuis des années pour qu’un protocole uniforme soit adopté au Québec. Avec l’équipe d’Allergies Québec, j’ai même élaboré un projet de protocole qui a été testé dans quelques écoles québécoises en 2016.
Il est temps, grand temps, que les choses bougent dans ce dossier. Il y a plus de 75000 élèves allergiques au Québec. Ceux-ci doivent jouir de la même protection, peu importe l’école qu’ils fréquentent. Il en va de leur sécurité… et de leur vie.
Rédactrice en chef du site dejouerlesallergies.com depuis 2003, Marie-Josée Bettez a publié trois livres, dont le best-seller Déjouer les allergies alimentaires. Elle donne régulièrement des conférences sur la gestion des allergies alimentaires à la maison et en milieu de garde. En savoir plus >>.
Rédaction : juin 2017
Vous avez aimé ce texte? Pour être avisé de nos dernières trouvailles, inscrivez-vous à notre infolettre gratuite. Suivez également Déjouer les allergies sur Facebook, Twitter, Pinterest et YouTube.
http://dejouerlesallergies.com/des-arachides-et-des-noix-dans-les-ecoles-de-montreal/?