Diabète non insulinodépendant
Rompre la conspiration du silence!
Professeur André Grimaldi (Paris)
C'est le diabète non insulinodépendant si longtemps sous estimé, qualifié de "petit diabète" qui pose aujourd'hui un problème majeur de santé
publique. On compte en effet environ 30 millions de diabétiques non insulinodépendants en Europe, 12 millions aux USA, 80 à 100 millions dans le monde !
En France, on estime qu'il existe 1.400.000 diabétiques non insulinodépendants, auxquels il faut ajouter 500 000 diabétiques qui s'ignorent. Et ce taux va croissant
parallèlement au vieillissement des populations et aux modifications du mode de vie : urbanisation, sédentarité, alimentation riche en graisses et en sucres rapides...
Si les autorités gouvernementales et sanitaires internationales s'inquiètent, c'est que le coût des complications dues au diabète non insulinodépendant ne cesse
d'augmenter. Trente pour cent des dialysés américains (mais "seulement" 10 % des dialysés français) sont diabétiques dont 70 % sont en réalité des diabétiques non insulinodépendants.
Le diabète reste la première cause de cécité avant 50 ans avec 5 000 à 10 000 nouveaux cas par an aux USA, et la majeure partie des rétinopathies sévères
diagnostiquées avec un retard de plusieurs années complique le diabète non insulinodépendant. Cinquante mille amputations d'orteils, de pieds ou de jambes sont réalisées aux USA en raison du
diabète et dans plus de 5 cas sur 6 il s'agit d'un diabète non insulinodépendant.
En France, on estime entre 3.000 et 5.000, le taux des amputations annuelles dues au diabète. Enfin, 10 à 20 % des
pontages coronariens sont réalisés chez les diabétiques le plus souvent non
insulinodépendants.
Un échec relatif
Pourtant les signataires de la déclaration de Saint Vincent nous avaient engagés en 1989 à diminuer de 50 % le taux des complications du diabète, grâce au respect
des bonnes pratiques cliniques diabétologiques, à un meilleur accès aux soins, à une meilleure coordination des soignants et à une plus grande information des patients... Il convient donc
d'analyser les raisons de cet échec relatif et d'abord d'essayer de comprendre les particularités de la maladie qui font obstacle à la prévention de ses complications.
Le diabète non insulinodépendant a deux caractéristiques essentielles qui expliquent pour une grande part nos difficultés :
.Il s'agit d'une maladie hétérogène,
tant dans ses causes encore largement inconnues que dans son pronostic, car si les complications graves frappaient tous les diabétiques, il est sûr que le diabète non insulinodépendant
déclencherait la mobilisation générale non seulement des soignants, mais aussi des patients. Or il existe effectivement des petits diabètes : 50 % des diabétiques non insulinodépendants ne
présentent pas de rétinopathie diabétique, 80 à 90 % d'entre eux ne développent pas d'insuffisance rénale sévère, 90 % n'auront pas d'amputation ! De plus, ces complications surviennent à long
terme, après de nombreuses années d'évolution de la maladie, souvent après l'âge de 60 ans, finalement trop long pour angoisser et motiver les patients, et pour mobiliser et culpabiliser les
soignants...
Surtout, le diabète non
insulinodépendant est une maladie silencieuse, se
développant sournoisement, à bas bruit, sans symptômes et en particulier sans douleur.
L'élévation de la glycémie définissant le diabète est en réalité précédé de 10 à 20 ans d'insulinorésistance où la glycémie est maintenue normale au prix d'un
hyper-insulinisme. Tout se passe finalement comme si on assistait à un épuisement progressif du pancréas... Quoiqu'il en soit, l'insulinorésistance favorise non seulement la survenue d'un
diabète, mais aussi la survenue d'une hypertension artérielle, d'une hyperlipidémie, d'une tendance à la coagulation du sang et finalement d'une athérosclérose prématurée. C'est pourquoi,
lorsqu’apparaît le diabète il existe bien souvent déjà une athérosclérose significative au niveau des artères cervico des coronaires ou des artères des membres inférieurs.
Lorsque la glycémie s'élève, le malade ne sent rien. L'envie fréquente d'uriner et la soif n'apparaissent que pour des glycémies dépassant nettement 2 g, voire 3
g/1. Ainsi s'explique que le diagnostic de diabète soit fait en moyenne avec un retard de 5 ans, parfois même à l'occasion de complications graves : rétinopathie, infarctus du myocarde, mal
perforant plantaire.
Développement insidieux des complications
Même les complications de cette maladie se développent le plus souvent insidieusement, sans douleur :
- la rétine se détruit sans que le malade ne s'en aperçoive. Le diabétique croit bien souvent que tant qu'il a une bonne vision, il n'a pas
d'atteinte oculaire due au diabète. Au contraire, il s'inquiète devant la survenue d'une petite hémorragie conjonctivale bénigne qu'il confond avec une hémorragie rétinienne. En réalité,
seul l'examen du fond d'œil permet à l'ophtalmologiste de voir l'existence éventuelle d'une rétinopathie diabétique et de décider d'un traitement par laser avant la survenue d'une baisse
brutale et parfois irréversible de l'acuité visuelle.
- les glomérules rénaux "s'encrassent" à bas bruit. Quand on a "mal aux reins" c'est bien sûr des lombes dont on se plaint et non des reins. Seul le dosage
systématique de la microalbuminurie permet de dépister précocement la survenue d'une atteinte rénale.
- l'atteinte des membres inférieurs (neuropathie diabétique à type de polynévrite) supprime le plus souvent la perception de la douleur. Le malade blesse ses pieds
sans s'en rendre compte, et c'est pourquoi un banal durillon négligé devient un mal perforant plantaire. C'est la raison pour laquelle également l'artérite ne fait pas mal à la marche, mais se
révèle éventuellement par une gangrène lors d'une petite blessure telle qu'une entaille lors de la coupe des ongles ou une ampoule provoquée par le port d'une chaussure neuve...
-.même l'infarctus du myocarde est à 2 à 3 fois plus indolore chez le diabétique que chez le non diabétique.
Le caractère silencieux de la maladie
Il s'agit donc d'une véritable
"conspiration du silence ". Or, qui dit absence de symptôme et surtout absence de douleur dit inévitablement sous estimation et donc négligence, car
nous sommes tous conditionnés, diabétiques comme non diabétiques, par l'équation inconsciente douleur = danger, que nous retournons inconsciemment en l'équation absence de douleur = absence de
danger.
Finalement, ce caractère silencieux de la maladie favorise la politique de l'autruche adoptée par nombre de diabétiques non insulinodépendants, qui s'en remettent au
destin en adoptant le slogan : "arrivera ce qui doit arriver! " ou font appel aux "médecines parallèles" supposées avoir quelques vertus magiques (champignon tibétain, plantes diverses,
oligo-éléments, auriculothérapie, "podothérapie"...).
Pour rompre cette conspiration du silence qui
empêche le diabétique de se sentir malade et en conséquence d'agir pour
contrôler sa maladie, il faut remplacer le "symptôme manquant". Cela est aujourd'hui possible
grâce à une lancette et une bandelette qui permettent d'obtenir de façon presque indolore une goutte de sang et de mesurer la g1ycémie instantanée. En déterminant sa glycémie capillaire, le
diabétique non insu1ino dépendant:
- p r e n d conscience de sa maladie
- peut connaître les effets d'un écart diététique en plus ou en moins ou vérifier le bénéfice de l'exercice physique
- dépister une hypoglycémie en cas de malaise atypique ou de simple fringale
- juger de l'effet du stress sur l'équilibre du diabète
- fixer des objectifs à a t te1n d r e, objectifs variables d'une personne à l'autre mais le plus souvent inférieur à 1,40 g/1 avant les repas pour assurer la
prévention de la microangiopathie diabétique (atteinte de la rétine, du rein et des nerfs des jambes)
- et décider d'une escalade thérapeutique si ces objectifs ne sont pas atteints...
Cette escalade qui commence par l'association de plusieurs familles d'hypoglycémiants oraux, se termine par l'association aux comprimés d'une
injection d'insuline.
Mais alors que le diabétique non insulinodépendant traité par comprimés dit "j'ai un diabète" ou "je fais du diabète", le diabétique
traité par insuline dit "je suis diabétique". De "l'avoir" à "l'être", il y a l'angoisse du devenir avec la peur de perdre son indépendance, c'est à dire sa liberté... Mais c'est encore grâce à
l'autocontrôle glycémique que le diabétique non insulinodépendant insulinotraité pourra adapter régulièrement ses doses d'insuline et contrôler sa maladie.
Finalement, grâce à l'autocontrôle glycémique, le malade peut devenir maître de sa maladie, se fixer des objectifs et négocier des
compromis. Ce faisant, l'autocontrôle glycémique a entraîné un changement du rapport entre soignants et soignés. Le malade n'est plus dépendant
de l'avis, voire de la sanction médicale prononcée tous les 3 mois à la lecture des examens biologiques faits au laboratoire. Il gère lui même quotidiennement sa maladie
avec les conseils de son médecin et de l'équipe para-médicale. Plus qu'un progrès technique, l'autocontrôle glycémique a donc été l'outil d'une véritable révolution du traitement du diabète non
insulinodépendant et peut-être d'abord d'une révolution culturelle ayant entraîné le transfert d'une grande part de la gestion du traitement du médecin au diabétique lui même.
C'est donc avec raison que l'Association Française des Diabétiques réclame l'amélioration du remboursement de l'autocontrôle glycémique pour les diabétiques non
insulinodépendants comme pour les diabétiques insulinodépendants.
http://dianantes.free.fr/dnid/article3.htm