N°51/1 - Janvier/Février 2008 8w
Très petite quantité de liquide qui prend une forme arrondie ….en six lettres
Ph Selvais -CH Hornu-Frameries et Hôpital Erasme
Définition
La goutte regroupe un ensemble d’anomalies métaboliques caractérisées par
(1) une augmentation du taux d’acide urique, ou hyperuricémie, parfois
modeste,
dans le sang,
(2) des crises goutteuses c’est-à dire .des poussées inflammatoires très douloureuses liées à la précipitation de micro-cristaux d’urates au niveau de certaines
articulations, préférentiellement mais pas toujours, la crise nocturne au niveau du gros
orteil,
(3) le dépôt progressif de cristaux d’acide urique déformant les articulations et les tissus
proches, surtout au niveau des doigts et des orteils, parfois de manière
indolore,
(4) une insuffisance rénale lentement progressive liée au dépôt de cristaux d’acide urique au niveau du rein, maintenant très rare, et
(5) la formation de calculs urinaires d’acide urique qui, lorsqu’ils se bloquent dans les voies urinaires, sont une cause de colique néphrétique
mais peuvent aussi rester asymptomatiques.
La goutte médicalement parlant
Mais ce qui nous intéresse malheureusement est la seconde définition de ce terme: «goutte » (du français ‘goutte’ attesté dès
le XIIIème siècle) diathèse (c’est à dire :
disposition d’une personne à être atteinte par des affections présumées de même origine mais avec des manifestations différentes), souvent héréditaire, caractérisée par des poussées inflammatoires douloureuses autour des articulations, avec dépôts « urates».
La goutte nous intéresse ici parce qu’elle touche beaucoup de patients diabétiques surtout diabétiques de type 2 et parce que comme le diabète de type 2 c’est une
maladie liée à une dysfonction biochimique de l’organisme, confronté à l’agression de
la vie moderne.
La goutte est souvent mal comprise : si tout le monde connaît ‘la crise de
goutte’, le malade goutteux est souvent incompris voire moqué parce que c’est réputé être une
maladie du «(trop) bon vivant».
Ce n’est plus tout à fait vrai, surtout dans nos sociétés Occidentales où nous serions la plupart d’entre nous
regardés comme ‘d’horribles bons vivants’ par 90% de la population du XVIIème ou du XVIIIème siècle !!!
Notre siècle est en effet, grâce aux efforts de nos aïeux, devenus en Europe un siècle d’abondance relative pour la majorité (pas tous hélas) de nos concitoyens. Ne
vous moquez pas des goutteux: ils sont des victimes de notre monde moderne au même titre exactement que les diabétiques de type 2!
Historique, Mécanismes et Causes
‘Seuls les dieux détiennent le secret de la goutte’ écrivit au IIème siècle après Jésus-Christ Arrété de Cappadoce (actuelle
Turquie), l’un des plus grand médecins de
l’Antiquité. Les diabétiques devraient le connaître car c’est aussi l’auteur de la plus précise et correcte description du diabète sucré qui nous soit parvenue des
temps
anciens.
Il avait bien raison ! J’ai souligné volontairement le caractère insidieux et trompeur de la goutte
dans la description précédente : on peut être goutteux avec d’importantes déformations articulaires sans jamais avoir fait de crise douloureuse et avec un taux d’acide
urique à peine élevé…
C’est un diagnostic qui est parfois évident mais peut aussi demander beaucoup d’attention et de perspicacité à votre médecin. En plus c’est un diagnostic qui n’est
pas
toujours pris au sérieux par le patient: j’ai eu personnellement bien du mal à convaincre un membre de ma propre famille qu’il souffrait bien de goutte !
L’histoire médicale et littéraire plus moderne, en particulier dans l’Angleterre des derniers siècles, nous présente la goutte comme l’affection préférentielle
des nobles,
(morbus dominorum, le ‘podagre’ anglo-saxon, c’est-à-dire celui dont le
pied se manifeste régulièrement de manière douloureuse), consommateurs quasi quotidiens
de viande, surtout de gibier, et de vin, à une époque (XVII-XVIIIème) où
l’alimentation était précaire et ne comportait certainement pas souvent de viande pour le commun
des mortels.
Il y a eu peu de goutte au moyen âge période de disette et où l’alimentation carnée
était un luxe (on y mourait aussi jeune). Dans le même ordre d’idée, l’encyclopédie médicale de Pasteur Valléry-Radot, le descendant du grand Pasteur, dans
l’édition
de 1946 signalait très factuellement que ‘la goutte a pratiquement disparu de France durant l’occupation’.
Il est clair en effet que le régime riche en protéines (abats, gibiers, charcuteries, consommation quotidienne de viande) et en alcool fait le lit de la goutte, même
s’il
y a une prédisposition génétique très nette. Dans nos sociétés modernes, ce type de régime nocif est hélas la règle : il ne faut plus stigmatiser le goutteux pour ses
excès
mais le plaindre de sa fragilité par rapport au régime moderne !
La goutte résulte de la difficulté pour l’être humain, contrairement à de nombreuses espèces animales, d’éliminer l’acide
urique, un produit de la dégradation des purines,
un constituant majeur de l’ADN.
Les purines sont produites par la dégradation ou le renouvellement rapide d’organes riches en cellules (lors du jeûne qui entraîne une fonte musculaire, par exemple) ou
par la consommation d’aliments riches en acides nucléiques (en règle générale, les
aliments riches en protéines).
Beaucoup de prédispositions génétiques, d’habitudes alimentaires, de médications, d’habitudes de boissons, de maladies aussi peuvent influencer la production ou
l’excrétion d’acide urique, raisons pour lesquelles certains sont affectés, d’autres moins, d’autres pas.
En outre, il faut bien distinguer ce qui cause l’accumulation insidieuse d’acide urique qui est la cause de la maladie (souvent une prédisposition individuelle combinée
à une trop grande consommation d’aliments riches en purines pendant des années) de ce qui cause les crises qui sont le symptôme le plus fréquent de la maladie (tout ce qui peut causer la
précipitation de l’excès d’acide urique dans l’articulation, comme un traumatisme sur l’articulation, une déshydratation, et surtout toute fluctuation rapide d’acide urique, à la hausse comme la
consommation d’un repas trop riche, ou à la baisse comme un régime brutal ou la prise trop rapide d’un médicament faisant baisser la concentration d’acide urique dans le sang).
C’est tout le paradoxe du traitement de la goutte : il faut y aller par petites touches et en réfléchissant au long terme, sinon on multiplie les crises douloureuses et
le patient
se décourage. Heureusement, le traitement moderne permet presque toujours d’éviter au patient d’évoluer vers les stades ultimes de l’invalidité grave ou de
l’insuffisance
rénale.
Les Symptômes de la Goutte
La grande crise goutteuse qui touche l’articulation à la base du gros orteil, se déclenche préférentiellement en fin de nuit, entraîne une inflammation spectaculaire
(gonflement, douleur ‘à ne pas supporter le poids du drap’, aspect rouge vif voire violacé, chaleur).
Mais d’une part il peut s’agir d’une pseudo-goutte (d’autres maladies articulaires aux symptômes identiques !) et d’autre part bien souvent la goutte n’est pas aussi
spectaculaire.
Le patient se plaint pendant des mois voire des années de douleurs et gonflements
modérés et fluctuants de diverses articulations. C’est surtout le terrain qui doit attirer
l’attention : dans une famille de goutteux, chez un bon vivant, des épisodes répétés d’inflammation articulaire même modérée doivent faire ponctionner les
articulations
en crise pour retrouver les cristaux d’acide urique.
Plus rarement la maladie attaque le rein et les voies urinaires : tout calcul urinaire, responsable parfois de sévères crises de colique néphrétique, devrait être
analysé.
Il y en a de divers types associés à des maladies prédisposantes diverses.
En cas d’acide urique, un bilan métabolique est nécessaire.
Heureusement, la conséquence ultime des dépôts d’acide urique dans le rein ou l’arbre urinaire, l’insuffisance rénale terminale menant à la dialyse, est devenue très
rare. Il faut cependant rester attentif, d’autant que les hyperuricémiques ou goutteux sont très
souvent hypertendus ou diabétiques, deux autres facteurs de fragilisation du rein. L’hyperuricémie est aujourd’hui plus souvent un facteur potentiellement
aggravant
de l’insuffisance rénale que sa seule cause.
Goutte et Syndrome Métabolique (ou diabète de type 2)
La goutte touche environ 1.7% des hommes et 0.8% des femmes dans les pays Occidentaux. Elle est beaucoup plus fréquente au-delà de cinquante ans, chez les
obèses, les hypertendus, les diabétiques, les insuffisants rénaux, les intoxiqués au plomb (devenus heureusement très rares), les diabétiques et chez les
patients
souffrant du syndrome métabolique.
On parle souvent du syndrome métabolique dans la revue de l’ABD : rappelons simplement que le syndrome métabolique regroupe : hypertension, obésité
surtout abdominale, troubles plus ou moins graves de la tolérance au glucose, hypertriglycéridémie et diminution du bon cholestérol, parfois micro albuminurie.
Les définitions varient mais le risque (diabétique et cardiovasculaire) est certain pour ces sujets, plus sensibles que d’autres aux effets secondaires du mode de vie
et de
l’alimentation modernes.
Ils sont aussi nettement plus susceptibles de développer une hyperuricémie
ou une goutte.
On distingue deux types de goutteux (ou d’hyperuricémiques) :
Ceux qui excrètent trop d’acide urique : ils ont un régime trop riche en purines (souvent) ou souffrent (rarement) de désordres métaboliques entraînant un excès de
production (maladies métaboliques très rares, excès d’alcool fréquent, renouvellement cellulaire
accru comme dans certains cancers lents, la maladie de Paget, le psoriasis étendu … etc.).
La production d’acide urique est ici excessive et dépasse les possibilités d’élimination.
Ceux qui éliminent trop difficilement l’acide urique : insuffisants rénaux, consommateurs obligés de certains diurétiques ou de certains médicaments comme la
cyclosporine,
les salicylés, certains antituberculeux…. Cette élimination difficile favorise l’accumulation
d’acide urique même si la production reste normale.
1. Le régime :
Hypocalorique, appauvri en abats, charcuteries, viandes riches et surtout en alcool (on y ajoute pauvre en sel et en sucre, puisque les risques d’hypertension et de
diabète
sont associés à la goutte). De l’eau en abondance ne fait pas de tort. Il faut de préférence choisir une eau soit alcaline (c’est-à-dire riche en bicarbonates, la
plupart
des eaux ‘digestives’) soit neutre et pauvre en sels.
Le régime doit être progressif au début. Le jeûne est à déconseiller car il peut précipiter
des crises par modification rapide du taux d’acide urique !
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2. Le traitement anti-inflammatoire :
C’est celui de la crise. Il ne change rien à l’acide urique mais soulage le malade affligé par une crise. La colchicine est la plus efficace mais entraîne parfois
beaucoup de diarrhées. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont une alternative moins efficace et
plus dangereuse pour le rein ou l’estomac. Si le risque de récidive de crise est élevé on propose souvent de maintenir le traitement à la colchicine à petite dose
pendant 1/2/3 ? ans nécessaires à éliminer le dépôt d’acide urique.
3. Le traitement hypouricémiant :
A l’heure actuelle, c’est presque exclusivement l’allopurinol qui est utilisé. Il réduit la formation d’acide urique. Il est très important, chez le goutteux qui
a fait des crises, de le débuter très progressivement pour ne pas en déclencher de nouvelles.
Il nous arrive régulièrement de prescrire des prescriptions magistrales à très petite doses au début, ce qui fait se moquer certains pharmaciens, mais épargne nous en
sommes persuadé les nuits de nos patients : ne vous moquez jamais des goutteux !
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N°51/1 - Janvier/Février 2008
Ph Selvais -CH Hornu-Frameries et Hôpital Erasme
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En conclusion:
La goutte est une affection métabolique fréquente
Elle