Le diabète n'est pas un long fleuve tranquille. Le blog de A.B.D - Le groupe des Personnes Diabétiques de Bruxelles hébergé Eklablog
De manière générale, en Afrique, les problèmes de lutte contre le diabète sont les mêmes que ceux que peuvent rencontrer les médecins et les autorités de santé face aux maladies infectieuses, parasitaires ou chroniques, (VIH/sida, paludisme, tuberculose…). Ce sont les difficultés d’un diagnostic précoce et de l’accès aux soins, le problème de l’abandon de traitement en raison du coût des transports et des médicaments, le manque de personnel et de structures qualifiés, la concurrence souvent préjudiciable des tradithérapeutes.
Pour la prise en charge du diabète, s’ajoute le caractère de chronicité qui complique encore le tableau, car comme le rappelle le Professeur Sidibé, chef du service d'endocrinologie à l'Hôpital du Mali de Bamako : «En Afrique, on pense que si une maladie se traite, c’est donc qu’elle se guérit. Il est très difficile pour un malade d’admettre qu’il lui faudra vivre avec sa maladie tout le reste de sa vie». C’est ainsi qu’on voit de nombreux patients interrompre leur traitement dès qu’ils ressentent du mieux dans leur état général. Et on les retrouve à nouveau en consultation, quelques mois plus tard, avec de graves complications. Le caractère de chronicité impose un traitement à vie qui engendre une dépense permanente pour le patient et sa famille. Et cela rend très difficile l’observance du traitement dans des pays où les ressources sont très limitées. |
Comment bien saisir les enjeux de la prévention et s’approprier les moyens de rester en bonne santé au moindre coût? C’est tout l’enjeu d’une vraie politique d’éducation au diabète en Afrique. Mais dans un contexte de ressources humaines et financières limitées, dominé par les maladies infectieuses, les systèmes de santé des pays africains ramènent souvent au second plan les investissements spécifiques aux maladies non infectieuses comme le cancer ou le diabète. L’absence de moyens dédiés à la formation, la pénurie de professionnels de santé, le coût du traitement et d’une diététique adaptée, ainsi que leur faible disponibilité, constituent autant d’obstacles majeurs à une éducation efficace sur le long terme.
Dans la plupart des pays africains, la mise en place d’une diététique adaptée se heurte à de nombreux écueils dus aux coûts des aliments et à leur disponibilité selon les saisons. A cela s’ajoutent des particularismes sociaux qui viennent accroître ces difficultés. D’une part, l’alimentation en « grande famille », à la main et dans un plat commun empêche le contrôle de la quantité d’aliments ingérés et la possibilité pour le malade d’individualiser son régime et sa ration diététique. D’autre part, l’exclusion du plat commun est souvent vécue comme une désocialisation et rapidement abandonnée. Enfin, le prestige lié au surpoids et à l’obésité, symboles de réussite sociale et de bonne santé constitue une résistance supplémentaire que les praticiens doivent affronter. Le repas est vécu comme un moment crucial de la journée d’où la personne doit sortir repue pour être satisfaite. Cette pratique entraîne une prise alimentaire souvent très supérieure aux besoins et un état de surnutrition.
La quantité des ingrédients qui composent le plat met en évidence la prospérité de la famille mais également la modernité supposée des modes de préparation qu’elle utilise, autre signe de prestige. Ainsi le sucre raffiné, mais aussi l’huile, grande pourvoyeuse de graisses, les cubes alimentaires et les concentrés de tomates, grands pourvoyeurs de sel, sont ajoutés en grande quantité dans les sauces, les bouillies et les boissons. Tous ces ajouts massifs, synonymes de surconsommation, sont éminemment nocifs pour l’ensemble de la population, à fortiori pour les patients diabétiques et les personnes à risque. |
Les habitudes alimentaires sont directement liées au niveau socio-économique, à l’origine ethnique et géographique. D’où la difficulté, pour un patient, d’observer une diététique comportant des aliments hors de ses habitudes de consommation. Difficulté accentuée encore par le fréquent manque de soutien de la part de la famille et de l’entourage.
Disposer d’insuline, de seringues et du matériel d’analyse est vital, mais cela ne suffit pas. Il faut y adjoindre un système de santé doté d’un personnel formé et des structures adéquates. Les systèmes de santé en Afrique sub-saharienne se focalisent majoritairement sur le traitement des maladies aigües et souffrent d’un grave manque de structures de santé de proximité. Les patients doivent parcourir souvent de très longues distances, pour un coût de transport prohibitif, afin de se faire dépister et se faire soigner. Ce contexte de pénurie, conjugué à l’influence de certains tradithérapeutes qui détournent leurs clients de la médecine moderne, est la cause de retards voire d'absence de diagnostic et d’accès aux traitements qui se révèlent très pénalisants dans le cas des patients atteints de diabète.
Ainsi, au Mali, pays de presque 16 millions d’habitants, il n’y avait, en 2004, que deux médecins spécialisés pour la prise en charge du diabète, auxquels s’ajoutaient trois agents de santé avec, pour tout bagage, de petites formations d’appoint. Ce personnel dédié exerçait uniquement dans la capitale, au niveau des trois services de prise en charge spécialisée du pays. Des patients, résidant parfois à plus de 800 km, devaient faire le trajet jusqu’à Bamako et nombre d’entre eux se limitaient à une seule consultation annuelle en raison du coût et de la difficulté des déplacements. De plus, la très grande quantité de patients pour seulement trois médecins, entraînait des consultations bondées ne permettant pas une qualité des soins optimale. Cette situation, avec pour conséquence une haute fréquence de complications et une très forte mortalité, n’est pas propre au Mali. Elle concerne la majorité des pays d’Afrique.
L’absence de système de prise en charge des coûts de santé dans les pays africains et le coût élevé des médicaments (antidiabétiques oraux et insuline) en rendent l’accès très difficile pour les patients. Si l’on prend l’exemple du Mali, en 2004, un flacon d’insuline valait autour de 10 euros, dans un pays où le salaire mensuel moyen avoisine 50 euros. On estime qu’une année d’insuline représentait pour un malade près de 40% des ressources annuelles de sa famille. Les antidiabétiques oraux, rarement disponibles dans leur forme générique, restaient hors de portée pour la bourse de la majorité des malades.
Aux difficultés d’accès financier au traitement et aux soins, se superposent les difficultés d’accès géographique. Dans la majorité des pays africains, les médicaments génériques à faible coût sont commandés par les pharmacies centrales puis distribués sur l’ensemble du territoire par des antennes décentralisées. Mais l’absence ou le peu de consultations périphériques rend l’expression des besoins en médicaments très problématique. D’où des commandes sous-estimées et la nécessité de se tourner vers le secteur privé qui vend ces molécules beaucoup plus cher. Les difficultés d’approvisionnement en dehors des structures spécialisées de la capitale expliquent pour beaucoup les ruptures fréquentes et dramatiques de traitement pour les patients. |
Les médicaments seuls ne suffisent pas. Le diabète nécessite un suivi très régulier. Les patients ont besoin de contrôler régulièrement leur tension, leur taux de sucre dans le sang mais aussi d’autres constantes biologiques, comme le taux de lipides sanguins (graisses) et l’état de leurs reins, pour suivre l’évolution de leur maladie. Là encore, ce suivi réalisé avec des tensiomètres, des lecteurs de glycémie ou des analyses en laboratoire nécessite que l’équipement soit disponible mais aussi que le coût des tests soit abordable pour les patients.
Dans les pays développés, le patient effectue tous les trois mois une mesure spécifique du taux moyen de sucre dans le sang, représenté par un dosage appelé « hémoglobine glyquée » (HbA1c). Il s’agit de l’analyse référence de suivi du diabète. Et en parallèle, il procède à des mesures quotidiennes de sa glycémie grâce à des appareils qu’il peut utiliser à domicile. Dans les pays africains, on est malheureusement bien loin de ce suivi idéal. En effet, les bilans qui doivent être réalisés par des laboratoires sont disponibles uniquement dans un voire deux laboratoires privés de la capitale, à un prix inabordable pour la grande majorité des malades.
Moins de 10% des patients africains ont les moyens de réaliser des mesures de glycémie chez eux. Un glucomètre, appareil qui permet la mesure de la glycémie à domicile, coûtait en 2004 plus de 100 euros et les bandelettes de test autour d’1 euro pièce. L’incapacité, pour la plupart des patients, de réaliser eux-mêmes leurs analyses les empêche de bien suivre l’évolution de leur maladie. Elle entraîne un grand nombre de complications et d’accidents potentiellement mortels. Sont particulièrement exposés les patients nécessitant la prise d’insuline et qui n’ont pas la possibilité de mesurer leur taux de sucre dans le sang avant et après les injections. Sans connaissance de cette donnée essentielle, beaucoup de patients africains s’injectent une dose moyenne en misant sur l’absence d’une variation importante de leur taux de sucre par rapport aux valeurs habituelles. Enfin, cette carence de suivi biologique retarde gravement le dépistage des complications éventuelles chez les patients.
En Afrique, l’accès aux soins est souvent difficile en raison d’un réseau de transports limité, trop cher pour les populations, du manque de prise en charge décentralisée et du manque de vigilance des communautés et des agents de santé. Aussi, la majorité des personnes atteintes de diabète ne se présentent dans les centres de santé que lorsque des complications se sont déjà manifestées.
Dans ce contexte, dès lors que la prévalence du diabète de type 2 explose sur le continent africain, les complications liées à la maladie connaissent la même ascension vertigineuse. Elles y constituent la première cause de cécité et de mise sous dialyse, l’une des causes majeures d’infarctus et d’accidents vasculaires cérébraux. Elles sont responsables de 50 à 60% des amputations non traumatiques par suite de l’affection des artères et des vaisseaux. Ces complications font peser un très lourd fardeau économique sur des systèmes de santé déjà durement frappés par le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. |
Très peu d'études ont suivi, sur une longue période et d'une manière structurée, des patients d’Afrique sub-saharienne atteints de diabète. Ce que l’on constate aujourd’hui c’est la forte mortalité des personnes diabétiques dans cette région, suite à des complications chroniques. Il a été reporté un taux de mortalité lié à l’acidocétose diabétique de 25% en Tanzanie et de 33% au Kenya. Et une étude statistique datant de 1995 a constaté, en Afrique du Sud, une mortalité de 44% suite à un coma hyperosmolaire non cétosique. Cette complication affecte en priorité des patients âgés, souvent atteints d’autres maladies associées, ce qui explique ce taux de mortalité très élevé.
En Afrique, les patients nécessitant un traitement obligatoire et vital par insuline, parmi lesquels on compte tous les enfants diabétiques de type 1, présentent un taux effarant de mortalité. Cette forte mortalité, notamment chez les enfants, est souvent due à l’absence de diagnostic ou à un diagnostic erroné, à la non disponibilité d’insuline ou à son coût trop élevé. Une étude menée au CHU de Bamako, entre 1990 et 1998, auprès de vingt enfants diabétiques de type 1, a révélé qu’au bout de ces huit ans la moitié d’entre eux étaient décédés. En Tanzanie, une étude réalisée, sur cinq ans, auprès d’une population de diabétiques nécessitant la prise d’insuline a montré un résultat similaire avec un taux de mortalité de 40%.
Le diabète de type 1 est l'une des maladies chroniques les plus fréquentes touchant les enfants et il constitue un défi majeur de santé publique. Dans les pays en développement, le fardeau de la maladie est très lourd, mais en raison du manque de données épidémiologiques, son histoire naturelle et ses complications restent largement méconnues.
L’incidence du diabète de type 1 est importante en Afrique et elle est en constante augmentation. Au Soudan, elle est passée de 9,5/100 000 à 10,3/100 000, de 1991 à 1997. Cela signifie que, dans ce pays, le diagnostic annuel potentiel de nouveaux cas, est passé, en l’espace de six ans, de 3900 à 4350 enfants. Une incidence de 1,5/100 000 a été constatée en Tanzanie en 1993. Si l’on extrapole cette même donnée d’incidence du diabète de type 1 pour le Mali, 180 nouveaux enfants devraient y être diagnostiqués tous les ans. En réalité, le Mali ne comptait en 2004 que 70 patients diabétiques de type 1, suivis depuis trois ans et demi. On mesure bien ici l’écart dramatique entre le nombre réel d’enfants atteints et ceux effectivement diagnostiqués chaque année.
L’explication de cet écart est aussi simple que dramatique : dans la plupart des pays africains, l'espérance de vie d'un enfant atteint de diabète de type 1 ne dépasse pas une année. Cette situation, on la doit à un grand nombre de facteurs interdépendants. On constate d’abord un manque de personnels de santé aptes à diagnostiquer et traiter le diabète et donc un risque élevé de diagnostic tardif ou d'erreur de diagnostic. En cas de diagnostic posé, s’ajoutent le manque de matériels de contrôle disponibles, la rareté et le coût de l’insuline, l’absence de réfrigérateurs pour la stocker et un système de santé globalement déficient sur les maladies chroniques.
En Afrique sub-saharienne, la plupart des enfants atteints de diabète de type 1 qui sont diagnostiqués le sont lors d’un coma dit « par acidocétose ». Mais la confusion peut se faire facilement avec un neuro-paludisme, une pneumonie à pneumocystis, une gastroentérite, un état de dénutrition ou encore une méningite. Le risque mortel présenté par ce coma est d’autant plus important qu’il concerne les enfants de moins de cinq ans. |
Tous ces aspects, couplés avec les besoins concurrents d’une famille pauvre qui doit aussi payer sa nourriture, le loyer, les frais scolaires, concourent à rendre très sombre le pronostic vital d’une large majorité d’enfants atteints d’un diabète de type 1. Les parents d’une famille de l’ordre de cinq enfants dont l’un d’entre eux souffre d’une maladie coûteuse, chronique, exigeant des soins à vie, se retrouvent face à un choix très douloureux : faut-il assurer pour un seul de leurs enfants le coût d’un traitement qui hypothèquera les dépenses scolaires des quatre autres, voire même la nourriture quotidienne pour toute la famille ?
L’Organisation Mondiale de la Santé estime que plus de 80% de la population africaine a recours à la médecine traditionnelle. Pour cette raison, on s’accorde aujourd’hui sur le fait qu’en Afrique, le développement de la médecine moderne doit prendre en compte la présence d’un savoir traditionnel juxtaposant méthodes de soins et représentation du malheur et de la maladie. On peut distinguer les traitements issus d’un savoir familial, légué de génération en génération, et les traitements réalisés par les tradithérapeutes. Certains mettent en jeu uniquement leur connaissance des plantes, d’autres y ajoutent sorcellerie ou géomancie, d’autres encore un apprentissage auprès de la médecine moderne.
L’intervention de la médecine traditionnelle pose de nombreux problèmes dans le cas des maladies chroniques comme le diabète. Certains tradithérapeutes n’hésitent pas à s’en revendiquer des spécialistes et ils promettent la guérison. L’effet pervers et dangereux de ce discours, c’est que précisément ils attirent à eux de très nombreux patients rebutés par l’annonce, faite par le médecin moderne, que leur maladie les accompagnera désormais pour le reste de leur vie.
En raison de leur proximité, de leur influence et du capital de confiance dont ils jouissent auprès de la population, toute concurrence entre médecine traditionnelle et médecine moderne se fait au détriment des malades. Aussi, tout l’enjeu d’un partenariat avec les tradithérapeutes autour des maladies chroniques est d’obtenir de leur part une collaboration saine et active. Cela passe par la transmission d’un ensemble de notions caractérisant le diabète et sa chronicité qu’il leur faut apprendre à maîtriser. A cette condition, l’immense réseau des tradithérapeutes qui couvre l’ensemble des pays africains peut devenir un précieux partenaire pour le dépistage et le diagnostic du diabète. Les médecins traditionnels peuvent également devenir des relais de prévention et d’accompagnement de la maladie en liaison avec les centres de santé. |
Date de dernière mise à jour: 15 mai 2014
http://www.santediabete.org/fr/difficultes-de-prise-en-charge-en-afrique