Le diabète n'est pas un long fleuve tranquille. Le blog de A.B.D - Le groupe des Personnes Diabétiques de Bruxelles hébergé Eklablog
Résumé
Le diabète pancréatoprive est une pathologie fréquente dont l’incidence est en hausse du fait de l’augmentation des cancers du pancréas. Cette entité nosologique bien spécifique est souvent qualifiée de diabète de type 2 ou de type 1, en particulier par les non-spécialistes. Il convient d’évoquer un diabète pancréatoprive quand le diabète est associé à une maladie du pancréas exocrine. Le traitement médicamenteux du diabète pancréatoprive repose dans la grande majorité des cas sur l’insuline et sur la correction de l’insuffisance pancréatique exocrine. L’association d’un diabète et d’une pathologie du pancréas exocrine expose les patients à un risque de dénutrition important. Le diabétologue doit être vigilant au cours de la consultation à évaluer le risque nutritionnel et à donner des conseils adaptés.
Abstract
Pancreatic diabetes: knowing how to identify it to better manage it from a diabetological and nutritional point of view
Pancreatic diabetes is a common condition with an increasing incidence in relation to the rising incidence of pancreatic cancer. This specific nosological entity is often confused with type 2 or type 1 diabetes, especially by non-specialists. Pancreatic diabetes should be considered when diabetes is associated with exocrine pancreatic disease. In the large majority of cases, the drug treatment of pancreatic diabetes is based on insulin and the correction of exocrine pancreatic insufficiency. The combination of diabetes and exocrine pancreas disease exposes patients to a significant risk of undernutrition. The diabetologist must be vigilant during the consultation to assess the nutritional risk and give appropriate advice.
Le diabète pancréatoprive est une entité nosologique bien spécifique. Il s’agit d’un diabète insulinopénique associé à d’autres carences hormonales, en particulier en glucagon, à l’origine de besoins insuliniques moindres et d’un risque accru d’hypoglycémies. Dans une grande majorité de cas, le diabète pancréatoprive est associé à une insuffisance pancréatique exocrine, qui contribue au risque important de dénutrition dans cette pathologie.
Le diabète pancréatoprive appartient à la catégorie 3c de la classification étiologique des diabètes de l’American Diabetes Association (ADA) (1). Un diabète pancréatoprive doit être évoqué lorsque le diabète est associé à une maladie du pancréas exocrine. On retiendra ce diagnostic lorsque la probabilité que le diabète soit secondaire à cette maladie est forte. Les diabètes pancréatoprives ont pour origine une large gamme de pathologies du pancréas incluant les pancréatites aiguës ou chroniques, les traumatismes et chirurgies du pancréas, les tumeurs bénignes ou malignes du pancréas, ainsi que la mucoviscidose et l’hémochromatose qui ne seront pas spécifiquement abordés dans cet article. En dehors de la pancréatectomie totale, où le risque de diabète est de 100 %, le risque de diabète en lien avec d’autres maladies du pancréas est variable (Tab. 1).
Dans certaines situations, il est facile d’identifier un diabète pancréatoprive. C’est le cas, par exemple, des patients qui décompensent un diabète immédiatement après une chirurgie du pancréas, en l’absence de syndrome métabolique. Dans d’autres situations, le diagnostic nosologique du diabète est plus complexe. Certains diabètes pourront être qualifiés de mixtes associant une part pancréatoprive et une part d’insulinorésistance.
La prévalence du diabète pancréatoprive est en hausse, du fait notamment de l’augmentation de l’incidence des tumeurs du pancréas. En cas de découverte de diabète chez l’adulte, l’origine pancréatoprive du diabète est la seconde nosologie la plus fréquente après le diabète de type 2 et avant le diabète de type 1 (2). La proportion de diabètes pancréatoprives serait de l’ordre de 5 à 10 %, soit un diabète sur 10 à 20, ce qui est loin d’être négligeable dans la pratique quotidienne du médecin diabétologue.
Une proportion importante de diabètes pancréatoprives est étiquetée comme des diabètes de type 2, en particulier par les non-spécialistes. Ainsi, une étude avait estimé que seules 2,7 % des découvertes de diabètes secondaires à des pancréatites étaient classifiés comme des diabètes pancréatoprives par des médecins généralistes anglais, la plupart étant qualifiés de diabètes de type 2 (2).
Le diabète pancréatoprive est un diabète insulinopénique. L’insuline est donc le traitement de choix. En cas de pancréatectomie totale, l’insulinorequérance est complète d’emblée. Dans les autres situations, l’insulinorequérance est variable, mais il a été montré qu’elle était plus rapide que dans un diabète de type 2 (2). Elle peut néanmoins survenir plusieurs années après la pathologie pancréatique. Il convient donc de réaliser un dépistage du diabète au moins une fois par an en cas de pathologie du pancréas exocrine.
Les objectifs glycémiques dans le diabète pancréatoprive sont proches de ceux du diabète de type 1 en les adaptant au pronostic de la pathologie pancréatique sous-jacente, en particulier en cas de cancer.
Le traitement par insuline du diabète pancréatoprive a de nombreuses similitudes avec celui du diabète de type 1. Néanmoins, les besoins insuliniques sont généralement plus faibles, de l’ordre de 0,3 à 0,4 UI/kg d’insuline au total en lien avec la carence en glucagon associée. Lorsque les sujets sont traités par basal-bolus, il convient de proposer des stylos qui permettent de réaliser des demi-unités, les ratios glucidiques étant fréquemment de l’ordre de 1 UI pour 20 g de glucides. Certains diabètes pancréatoprives nécessitent uniquement l’administration de bolus d’insuline au repas.
La pompe à insuline en boucle ouverte peut être proposée (Fig. 1). Il y a encore peu de recul sur l’utilisation des boucles fermées en cas de diabète pancréatoprive. Néanmoins dans notre expérience, les algorithmes actuellement disponibles fonctionnent correctement. Il convient d’être prudent sur la dose quotidienne d’insuline qui est parfois inférieure à la dose minimale requise pour le fonctionnement des algorithmes.
Figure 1 – Données glycémiques et d’insulinothérapie chez une patiente traitée par pompe à insuline et aux antécédents de pancréatectomie totale. La dose totale d’insuline est de 15 UI pour 50 kg, soit 0,3 UI/kg.
Le diabète pancréatoprive est associé à un risque accru d’hypoglycémies lié à plusieurs facteurs : déficit en glucagon, abus d’alcool plus fréquent dans les pathologies du pancréas exocrine, dénutrition, etc. La diminution ou l’absence de glucagon rend en théorie le risque d’acidocétose moindre dans le diabète pancréatoprive. Néanmoins, une décompensation acidocétosique peut tout de même survenir.
Les antidiabétiques oraux et les analogues du GLP-1 ont peu de place dans le traitement du diabète pancréatoprive.
• La metformine n’est pas indiquée sauf en cas de diabète mixte associant une insuffisance pancréatique endocrine et un syndrome métabolique.
• Les insulinosécréteurs type sulfamides ou glinides peuvent être efficaces en cas d’insulinopénie partielle, mais ils doivent être utilisés avec prudence compte tenu du risque accru d’hypoglycémies.
• Les iSGLT2 peuvent parfois être utilisés, en tenant compte du risque d’aggravation de la dénutrition lié à la déperdition énergétique due à la glycosurie.
• Les analogues du GLP-1 ne semblent pas adaptés compte tenu notamment du risque de troubles digestifs associé à cette classe thérapeutique.
Une insuffisance pancréatique exocrine doit être recherchée systématiquement en cas de diabète pancréatoprive grâce au dosage de l’élastase fécale. En effet, la prévalence de l’insuffisance pancréatique exocrine est variable en cas de pathologies pancréatiques, elle est néanmoins très souvent présente quand il existe un diabète pancréatoprive. L’insuffisance pancréatique exocrine entraîne une malabsorption des graisses qui peut se traduire par des diarrhées, une stéatorrhée, des selles nauséabondes. Les patients peuvent également être asymptomatiques, en particulier lorsque l’insuffisance pancréatique exocrine est légère à modérée. En cas de diminution de l’élastase fécale, les patients doivent recevoir une substitution enzymatique par extraits pancréatiques à chaque prise alimentaire contenant des lipides. La dose est généralement de l’ordre de 25 000 à 500 000 UI par repas.
Le diabète pancréatoprive est une pathologie à risque de dénutrition. En effet, comme l’insuline est une hormone anabolisante, le diabète en tant que tel est à risque du fait de la carence en insuline, mais aussi de la déperdition énergétique en lien avec la glycosurie. L’insuffisance pancréatique exocrine généralement associée majore ce risque. Si elle n’est pas correctement substituée du fait d’oublis ou de doses insuffisantes d’extraits pancréatiques, elle peut favoriser une déperdition d’énergie par diminution de l’absorption digestive. De plus, les pathologies qui conduisent aux diabètes pancréatoprives peuvent être pourvoyeuses de dénutrition. Les patients avec une pathologie du pancréas peuvent présenter des douleurs abdominales et des troubles digestifs. En cas de cancer, il existe fréquemment une anorexie. Enfin, un certain nombre de pathologies pancréatiques sont favorisées par une consommation d’alcool qui contribue également à la dénutrition. Le dépistage de la dénutrition doit se faire à chaque consultation en pesant le patient et en recherchant une perte de poids. L’évaluation de la fonction musculaire avec la mesure de la force musculaire au dynamomètre est utile dans la pratique clinique pour évaluer l’état nutritionnel.
En cas de dénutrition, la prise en charge nutritionnelle passe en premier lieu par l’enrichissement et le fractionnement de l’alimentation. Il faut expliquer au patient comment adapter la posologie de l’insuline et des extraits pancréatiques en cas d’augmentation de la charge glucidique et lipidique des repas ou de la mise en place de collations. Le fractionnement est souvent complexe à mettre en œuvre lorsqu’il y a une insulinothérapie sous-cutanée. Le recours à une pompe à insuline avec formation à l’insulinothérapie fonctionnelle peut faciliter la prise alimentaire fractionnée sans dégradation de l’équilibre glycémique.
Lorsqu’il est nécessaire d’avoir recours à une nutrition artificielle, le plus simple est de couvrir la nutrition entérale nocturne par une insuline semi-lente et de mettre de l’insuline rapide dans la poche en cas de nutrition parentérale.
Les patients avec un diabète pancréatoprive doivent bénéficier du dépistage des complications dégénératives du diabète avec les mêmes modalités que dans les autres types de diabète en faisant preuve de bon sens en fonction du pronostic de la pathologie sous-jacente.
Un bilan nutritionnel biologique annuel doit être réalisé. L’insuffisance pancréatique exocrine expose à un risque de carences micronutritionnelles, en particulier en vitamines liposolubles, de l’ordre de 5 à 30 % selon les vitamines (4). La société savante européenne de nutrition artificielle (ESPEN) recommande de doser une fois par an les vitamines A, D, E, K, B9 et B12, le magnésium, le sélénium et le zinc, le bilan martial, le bilan phosphocalcique et la PTH, chez les patients atteints de pancréatite chronique (5). Par extension, nous appliquons ces recommandations à l’ensemble des patients atteints de diabète pancréatoprive. Compte tenu du coût important du dosage de la vitamine K, qui n’est pas remboursé en France, nous proposons le dosage du TP en alternative. Le dosage du sélénium n’est pas non plus remboursé.
Mr R., 65 ans, est adressé par son médecin traitant au diabétologue pour un diabète étiqueté “non insulinodépendant” au début du courrier, puis diabète de type 1 un peu plus loin. Le patient a eu une chirurgie de type duodénopancréatectomie céphalique 10 ans auparavant. Il y a 5 ans, un diabète a été diagnostiqué. Sans instauration de traitement médicamenteux, l’HbA1c est restée inférieure à 7 % plusieurs années, puis elle a augmenté à 9,6 %, il y a 18 mois. Le médecin traitant a introduit une insuline basale et a donné au patient des consignes diététiques (limiter les apports glucidiques et lipidiques, favoriser les légumes) qui ont entraîné une diminution des apports énergétiques et donc une perte de poids de 4 kg.
Lorsque le patient se présente à la consultation de diabétologie spécialisée, son poids est de 65 kg (IMC à 19,3 kg/m2). L’HbA1c est à 7,2 %. Le patient ne prend plus de supplémentation en extraits pancréatiques, car il n’avait pas compris qu’il fallait la poursuivre à vie. Il a des diarrhées surtout après des repas gras. Il n’a pas de suivi par un gastroentérologue.
Ce cas clinique met en avant plusieurs points de vigilance à avoir dans la pratique clinique :
• difficulté pour le médecin généraliste à poser le diagnostic de “diabète pancréatoprive” malgré le contexte de chirurgie du pancréas ;
• décompensation du diabète et insulinorequérance parfois plusieurs années après la chirurgie ;
• risque de dénutrition important, en lien avec l’insuffisance pancréatique exocrine et les conseils diététiques non adaptés ;
• supplémentation en extraits pancréatiques fréquemment arrêtée après quelques années.
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.
Bibliographie
1. Association AD. Diagnosis and classification of diabetes mellitus. Diabetes Care 2014 ; 37 : S81-90.
2. Woodmansey C, McGovern AP, McCullough KA et al. Incidence, demographics, and clinical characteristics of diabetes of the exocrine pancreas (type 3c): a retrospective cohort study. Diabetes Care 2017 ; 40 : 1486-93.
3. Delarue J, Desport J-C, Dubern B et al. Diagnosing undernutrition children and adults: new French criteria. Why, for what and for whom? A joint statement of the French National Authority for Health and French Federation of Nutrition. Br J Nutr 2021 : 127 : 1-13.
4. Jøker-Jensen H, Mathiasen AS, Køhler M et al. Micronutrient deficits in patients with chronic pancreatitis: prevalence, risk factors and pitfalls. Eur J Gastroenterol Hepatol 2020 ; 32 : 1328-34.
5. Arvanitakis M, Ockenga J, Bezmarevic M et al. ESPEN guideline on clinical nutrition in acute and chronic pancreatitis. Clinical Nutrition 2020 ; 39 : 612-31.