Le diabète n'est pas un long fleuve tranquille. Le blog de A.B.D - Le groupe des Personnes Diabétiques de Bruxelles hébergé Eklablog
Certains médicaments provoquent de véritables addictions. Les psychotropes, principalement les benzodiazépines, prescrites comme anxiolytiques et hypnotiques, sont les plus concernés. Près de 4 millions de Français en consomment régulièrement alors que leur prescription ne devrait pas dépasser quelques semaines. Moins fréquemment, l'addiction concerne un antalgique, un stimulant ou un autre médicament.
Comme toute addiction, la dépendance médicamenteuse provoque des symptômes de manque et une perte du contrôle comportemental qui poussent à renouveler les prises. Le Pr Maurice Dematteis¹, addictologue et pharmacologue, et le Dr Michel Mallaret², pharmacologue et responsable du centre d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance (CEIP) de Grenoble, font le point.
La dépendance aux médicaments repose avant tout sur une dépendance psychique qui se traduit par un besoin impérieux de consommer ("craving") pour retrouver un effet plaisant ou soulager une souffrance. Ce qui signe l'addiction à un médicament, c'est l'usage qui en est fait, avec une perte du contrôle : consommation de manière compulsive, quelles que soient les conséquences, sous peine d'une souffrance psychique, voire physique. La vie de la personne dépendante est rythmée, pour ne pas dire ritualisée, par l'obtention du produit et sa consommation. Certains médicaments induisent en plus un phénomène de "tolérance", ou d'"accoutumance" : l'organisme s'y habitue et il faut augmenter les doses pour retrouver l'effet recherché.
Les médicaments psychotropes, en particulier lesbenzodiazépines, généralement utilisées pour leurs effetsanxiolytiques (tranquillisants) et hypnotiques (somnifères), et les morphiniques, prescrits comme antalgiques (codéine, tramadol etmorphiniques puissants) ou traitements de substitution aux opiacés.
Le néfopam (antalgique non morphinique) et les médicaments psychostimulants, comme le méthylphénydate (une amphétamine) ou le modafinil, induisent une dépendance psychique. Certains médicaments antihistaminiques, antidépresseurs, antimigraineux,antiparkinsoniens, bronchodilatateurs et corticoïdes peuvent aussi faire l'objet d'abus et de dépendances.
Enfin, il ne faut pas oublier les médicaments vendus sans ordonnance : antalgiques et antitussifs codéinés, antitussifs au dextrométhorphane, décongestionnants nasaux à base depseudoéphrédrine, ainsi que certains antihistaminiques.
Ils apparaissent avec les benzodiazépines et les morphiniques, en cas d'arrêt du médicament (sevrage complet) ou lorsque les doses journalières sont diminuées (sevrage relatif). Ils disparaissent en quelques jours, parfois un peu plus, selon les médicaments et leurs durées d'action.
La dépendance psychique repose sur une modification du fonctionnement de certains circuits cérébraux, notamment une sensibilisation des neurones associés au plaisir et la récompense. L'absence du médicament produit l'état inverse : manque, mal-être, anxiété, sensation de vide, voire de déprime, qui pousse à consommer de nouveau, d'autant que d'autres modifications cérébrales favorisent l'usage compulsif et la perte du contrôle.
La dépendance psychique comporte aussi une dimension comportementale. La consommation du médicament est favorisée par le contexte et certaines habitudes ("réflexe Pavlovien"). Le médicament peut être consommé pour le plaisir et/ou le soulagement qu'il provoque, de manière très ritualisée, avec de nombreuses prises tout au long de la journée, ou des prises moins fréquentes mais plus massives, souvent le soir. Cette dimension comportementale favorise les rechutes, même plusieurs années après l'arrêt du médicament, lorsqu'un contexte particulier réactive son souvenir.
Oui. Cette susceptibilité provient notamment d'une vulnérabilité génétique. Ainsi, le risque de développer une dépendance médicamenteuse est plus important s'il existe des antécédents familiaux de dépendance ou si l'on souffre déjà d'une addiction avec produit (alcool, tabac,drogue) ou sans produit (addiction comportementale, par exemple au jeu). Certains tempéraments, traits de personnalité et pathologies psychiatriques facilitent les consommations de médicaments et le développement d'une dépendance.
Cependant, l'environnement compte aussi. Un contexte stressant favorise l'initiation de la consommation, sa répétition et les rechutes. Certaines professions sont également plus exposées du fait des contraintes de travail (voyages, travail de nuit, recherche de la performance...) et/ou parce qu'elles accèdent plus facilement aux médicaments (monde médical...).
Comme lors de toute addiction, la vie peut être centrée sur la recherche et la consommation du médicament avec un abandon progressif des autres activités et un risque d'isolement.
Plus spécifiquement, certains médicaments ont des conséquences sur l'aptitude professionnelle et la conduite automobile, avec une augmentation du risque d'accidents. L'augmentation des doses peut
aller jusqu'à une éventuelle surdose, potentiellement mortelle, notamment s'il existe une polyconsommation (alcool, autres médicaments...).
Il peut aussi exister des épisodes de surconsommation, sortes de "cuites médicamenteuses", responsables d'intoxications médicamenteuses volontaires, sans intention de mort mais qui peuvent l'entraîner.
Les décongestionnants nasaux, qui sont abusivement consommés pour leurs effets psychostimulants, ont des conséquences vasculaires (vasoconstriction). En cas de surdosage, ils peuvent causer une hypertension artérielle, un accident vasculaire cérébral et un infarctus du myocarde. Les médicaments contenant du paracétamol et de la codéine sont toxiques du fait du paracétamol qui peut induire une hépatite fulminante mortelle en cas de surconsommation.
Certains psychotropes peuvent causer des états confusionnels, favoriser l'apparition ou l'aggravation de troubles psychiatriques, ainsi que les conduites agressives contre soi-même (suicide) ou l'entourage.
Cependant, le risque n'est pas uniquement lié au surdosage. Lorsque le corps a développé une dépendance physique, l'absence de médicament expose à un syndrome de sevrage, potentiellement mortel avec les benzodiazépines (convulsions), ou très douloureux et stressant avec les morphiniques.
Quand les malades achètent des médicaments sans ordonnance, ils doivent demander conseil au pharmacien et savoir que certains médicaments peuvent induire une dépendance. Avec ces derniers, il faut éviter un usage prolongé et respecter les doses préconisées.
Concernant les médicaments prescrits, l'usage des anxiolytiques et des hypnotiques ne doit pas être automatique : ces médicaments procurent un effet rapide, mais potentiellement éphémère à dose constante à cause du phénomène de tolérance ("accoutumance"). D'autre part, ils ne traitent que le symptôme. Pour proposer une prise en charge adaptée, il faut identifier la cause de l'anxiété et/ou de l'insomnie. Si le médecin décide de les prescrire, il doit convenir avec son patient qu'ils seront limités dans le temps, puis l'accompagner lors de l'arrêt qui doit toujours être progressif.
Il en est de même avec les antalgiques morphiniques. Lorsque le maintien au long cours du médicament est médicalement légitime, par exemple dans certaines douleurs chroniques, le risque d'addiction est faible. Par contre, tout manque d'efficacité nécessitant d'augmenter les doses de façon répétée doit faire réévaluer la pertinence du traitement.
Certains de ses comportements peuvent mettre la "puce à l'oreille", par exemple uneautomédication excessive, un mal-être à distance de la dernière prise du médicament, une difficulté à contrôler la consommation avec des doses supérieures aux doses préconisées ou prescrites.
La personne devenue dépendante peut sembler insistante pour obtenir ses médicaments, consulter plusieurs médecins pour multiplier les prescriptions (et souvent plusieurs pharmacies), voire voler dans son entourage ou recourir au marché noir (médicaments achetés dans la rue). Par peur d'en manquer, elle les a toujours avec elle, dans ses poches, son sac, sa voiture et fait des réserves.
Comme le trouble peut s'inscrire dans une problématique addictive plus globale, il faut aussi être plus particulièrement attentif lorsqu'il existe une dépendance à d'autres produits comme l'alcool ou certaines drogues dont le cannabis.
Certains patients parviennent à se sevrer seuls mais ce n'est pas sans risque, notamment avec les benzodiazépines dont l'arrêt trop rapide peut déclencher des crises d'épilepsie, y compris chez des personnes qui n'en ont jamais eues. Pour limiter les effets du manque, il faut toujours procéder par paliers.
Comme indiqué question 4, la dépendance psychique vis-à-vis d'un médicament comporte une dimension comportementale. Il est important de comprendre dans quoi s'inscrit la consommation du médicament pour prévenir les rechutes. Un accompagnement médical et psychologique est donc utile pour éviter les complications du sevrage et les rechutes.
Le sevrage doit être planifié, idéalement en période favorable. Il peut être plus ou moins rapide, se faire en consultation ou nécessiter une hospitalisation. Tout dépend du (ou des) médicament(s) consommé(s), de ses (leurs) doses, des autres consommations, du risque médical. Il est par exemple plus élevé chez une personne qui a déjà fait des convulsions ou présente un risque cardiovasculaire. Il faut également tenir compte du contexte social, familial etc.
Le corps médical et l'entourage doivent être attentifs au report possible des consommations sur d'autres produits (alcool, drogues...), ainsi qu'au risque d'aggravation d'une pathologie psychiatrique.
Des traitements sont utilisés pour diminuer l'inconfort et les possibles complications du sevrage. Le reste de la prise en charge, plus long, vise à minimiser les risques de rechutes en permettant à la personne de comprendre comment sa dépendance s'est développée et en l'aidant à mettre en place de nouvelles habitudes (gestion du stress, meilleure hygiène de vie...). Comme n'importe quelle addiction, la dépendance médicamenteuse nécessite une prise en charge globale.
Créé le 05 avril 2013
Sources :
1 - Le Pr Maurice Dematteis est addictologue, responsable de l'Addictologie clinique et du Centre de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA) du CHU de Grenoble, chercheur au laboratoire Hypoxie physiopathologie (Inserm U1042 / Université Joseph Fourier -
Faculté de Médecine de Grenoble).
2 - Le Dr Michel Mallaret est pharmacologue au CHU de Grenoble, responsable
du Centre Régional de
Pharmacovigilance (CRPV) et du Centre d'Evaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance - Addictovigilance (CEIP-A) de Grenoble, chercheur à l'Institut des neurosciences de
Grenoble (Inserm U836, Equipe 10).
- L'Association Française des Centres d'Evaluation et d'Information
sur la Pharmacodépendance pour trouver les coordonnées des Centres d'évaluation et d'information sur la pharmacodépendance.
- Addictions-Auvergne.fr, site d'informations sur
l'addictologie du CHU de Clermont-Ferrand pour ses informations grand public et son test en 10 questions.
- L'Observatoire français des drogues et
toxicomanies
- L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour sa
page Médicaments psychotropes : consommations et pharmacodépendance et son expertise
collective (octobre 2012).
- L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM),
en particulier la page L'Afssaps dresse un état des lieux de la consommation des benzodiazépines en France , et le Rapport d'expertise associé (janvier 2012).