Entendre, comprendre et… Vivre
Je suis diabétique, ça me tombe dessus comme une pluie d’orage,
les images et les idées les plus diverses défi lent dans ma tête : les bonnes et les mauvaises, les vraies et les fausses. Les analyses s’enchaînent, les contrôles s’installent comme une routine,
les perfusions s’accrochent comme des ballons à la tête de mon lit. Je veux simplement ne pas être là et sortir de ce lit, de cette chambre, de cet hôpital… Et respirer !
Les médecins expliquent, les infirmières sont attentives ; j’emmagasine les infos, je les ordonne dans ma mémoire. Les émotions et les peurs sont denses et fortes, je ne sais pas très bien à qui
dire que je n’aime pas trop les seringues, que je ne sais pas ce que c’est que l’insuline, et que j’ai à peine entendu parler du pancréas dans un cours d’anatomie vers seize ans.
Je suis sortie de l’hôpital cinq semaines plus tard, complètement paumée, inconsciente de ce qui m’attendait. J’aurais tout le temps de m’informer, de comprendre, d’apprendre et de
reformuler des normes à mon cadre de vie. J’avais déjà fait des choix : continuer à travailler, à voyager, faire mes injections moi-même, ne pas faire appel, ni à l’aide familiale, ni aux repas
de la CPAS, informer et rassurer mon entourage.
Mon travail a changé, j’ai moins voyagé, j’avais besoin de stabilité, j’étais devenue « frileuse » à l’inconnu, à l’imprévu. Ma vie changeait de couleur sans vraiment l’accepter…
La déprime me faisait un petit clin d’œil. Je me suis équipée de la panoplie de la parfaite petite diabétique… Il y a trente ans ce n’était pas triste ! Pas de stylos, pas d’appareil de mesure de
la glycémie au doigt, beaucoup moins de choix d’insuline.
Mon premier retour au Maroc fut une « véritable aventure », tout me semblait plus compliqué, tout était centré sur « ma maladie », elle prenait toute la place, la réalité me semblait toute autre,
le rythme de vie, l’ambiance, la régularité des repas toute relative dans ce pays.
Premier décalage pour ces choses si simples… Tristesse, insécurité, découragement.
De retour, les hospitalisations » allaient se succéder, dans l’urgence et dans l’angoisse.
Des petits « bobos » mal gérés de ne plus savoir maîtriser la fatigue, les artérites.
Les priorités, l’essentiel, les repères étaient à trouver et à construire. Je ne serais plus jamais la même.
L’occupation : le Maître Mot ! Ne pas tout perdre de ce que j’étais. Tout cela allait venir, pas à pas, au fil de mes observations, de mes expériences, de la place, des valeurs et des cadres que
je souhaitais donner à cette maladie. J’avais vingt-cinq ans, la vie devant moi, un travail comme une passion : celle des gens, des relations humaines d’ici et d’ailleurs ; l’horizon était
largement ouvert. Tout était possible, avec l’enthousiasme en plus.
Je me sentais très fatiguée depuis quelque temps, assoiffée comme jamais et l’idée, même, de commencer la journée me décourageait.
J’étais au Maroc, il fait chaud et plus rien n’était facile pour moi. J’étais soulagée de prendre un peu de repos. Le 1er juin, chaleur moite, soins intensifs… Un monde à découvrir (je n’ai pas
mis les pieds dans un hôpital depuis l’âge de cinq ans !). Stupeur, inquiétude, incompréhension…
Une seule envie : dormir, en sortir vite, repartir. J’ai émergé peu à peu pour appréhender ce milieu blanc et calme, comme un cocon presque rassurant et apaisant. La journée allait être
décisive, il y aurait un
« avant » et un « après », un drôle de virage à 180° à négocier.
Un tournant dans ma vie assez imprévisible.
Entendre, comprendre et… Vivre
Comment s’informer, suivre les progrès, choisir les solutions les plus adaptées. Comment gérer tout ce qui entrait en ligne de compte pour être le mieux possible dans la vie, le mouvement,
l’optimisme. Toutes ces vibrations, ces émotions…Les repas, l’activité, les loisirs, le repos, les fatigues, les imprévus, les petits soucis, les gros tracas…ça fait beaucoup.
Bravo le pancréas ! (Il savait gérer tout cela lui ?!). Une journée c’est fait de tout cela ; à moi d’assumer maintenant !
C’est en vivant vraiment tout cela que j’apprenais.
Vivre … Normalement ? Non !
Parce que le cadre, les références et les nouvelles normes, j’ai dû me les donner, me les construire en prenant des risques, en me trompant souvent, en trouvant des trucs, parfois pour me
rassurer, pour repousser le découragement.
Aujourd’hui, 29 ans plus tard, cette maladie n’est pas encore mon « alliée » mais j’accepte qu’elle m’accompagne ! Elle a changé ma vie, mon regard sur les choses, sur les gens et sur le monde
dans lequel je vis. Elle m’a donné une certaine force et du courage. Elle a été à l’origine de nouveaux élans. Je n’ai rien « largué », ni mon enthousiasme, ni mes envies d’avancer et de
découvrir.
Je travaille depuis 15 ans avec des jeunes en difficulté. C’est une expérience professionnelle riche en émotions, pleine d’humanité et faite de relations vraies.
J’ai appris à écouter mon corps : quand il respire, quand il se fatigue, quand il va bien.
Je l’entends quand il pose ses limites : j’adapte mon rythme, je me donne des poses, je m’arrête avant d’être « au milieu de nulle part » sans pouvoir réagir. Je m’offre des plages de musique, je
me donne des espaces de lecture, de rencontres avec de belles émotions, de beaux paysages… Tout ce qui révèle le meilleur de nous-mêmes.
Mon dernier défi, regarder cette maladie « bien en face », comme une des facettes de ma vie, me laisser accompagner par les médecins qui ont été là tout au long de ce parcours mouvementé. Ils
avaient tous un regard différent et singulier.
Je n’ai rien oublié de leur questionnement, de leur patience, de leurs encouragements et parfois de leur désarroi. Tout cela fait aussi partie de la singularité de mon histoire.
Il ne faut jamais rester seule dans une telle expérience.
Je privilégie la relation intense avec ma famille qui a toujours ouvert toutes les portes : celles
de la tolérance, du courage, du défi et de l’humanisme.
Dernière nouvelle : je suis retournée au Maroc quelques temps pour travailler dans une association SIDA et dans un orphelinat pour enfants des rues.
J’ai gardé mon goût des voyages, j’écoute et je regarde toutes les nuances de la vie, je garde aussi mes idéaux, mes rêves et j’ose…
Wardavoir Muriel