3 2 Les hypoglycémies nocturnes méconnues (20, 21, 22, 23)
Des hypoglycémies nocturnes méconnues peuvent être responsables de manifestations de neuroglucopénie persistant après le réveil, alors même que la glycémie est redevenue normale (troubles de
l'humeur, perte de concentration intellectuelle et de l'attention, diminution de la mémoire, céphalées ou même asthénie). Le plus souvent cependant, les hypoglycémies nocturnes sont
asymptomatiques. Elles peuvent provoquer une " désensibilisation " à l'hypoglycémie avec abaissement du seuil de perception de l'hypoglycémie au dessous de 0,40 g/l et cela y compris
bien sûr durant la journée. Elles peuvent également expliquer une discordance entre un taux d'HbA1c satisfaisant et un carnet d'autosurveillance mettant en évidence des hyperglycémies diurnes.
Les hypoglycémies nocturnes sont particulièrement fréquentes lorsque les doses d'insuline quotidiennes dépassent 0,85 U/kg chez l'enfant ou 1,2 U/kg chez l'adolescent ou 0,75 U/kg chez l'adulte.
Elles doivent être systématiquement recherchées par la mesure de la glycémie capillaire nocturne par le diabétique. Par contre, l'importance de l'effet Somogyi, avec rebond hyperglycémique au
réveil suivant une hypoglycémie nocturne asymptomatique, est aujourd'hui relativisée dans la mesure où l'effondrement de l'insulinémie en fin de nuit apparaît comme la cause déterminante de
l'hyperglycémie du réveil. C'est, au contraire, la normoglycémie au réveil qui est statistiquement le plus souvent associée à l'hypoglycémie nocturne. Cependant, l'hypoglycémie nocturne peut être
responsable d'une insulinorésistance prolongée pendant 12 à 24 heures, majorant notamment le pic glycémique qui suit le petit déjeuner.
Conséquences pratiques
La recherche d'un parfait équilibre glycémique fait craindre la survenue du cercle vicieux suivant : l'augmentation de la fréquence des hypoglycémies modérées entraîne un défaut de perception de
l'hypoglycémie, ce défaut de perception est responsable d'hypoglycémies sévères plus fréquentes, la répétition des hypoglycémies provoque des troubles des fonctions cognitives entraînant des
hypoglycémies de plus en plus sévères... La recherche d'un bon équilibre glycémique, nécessaire pour éviter les complications dégénératives à long terme du diabète, doit donc s'accompagner
impérativement d'une stratégie de prévention des hypoglycémies sévères, grâce aux mesures suivantes :
I 4 1 Individualiser l'objectif glycémique (24)
Dans la majorité des cas, la prévention des complications sévères du diabète peut être obtenue par une HbA1c comprise entre 6,5 et 7,5 %. Chez les enfants de moins de 7 ans et chez les sujets
âgés de plus de 70 ans, l'objectif doit être individualisé en tenant compte du rapport bénéfice / risque. Chez les personnes présentant des accidents hypoglycémiques sévères répétés, il convient
de revoir l'objectif glycémique et d'accepter des HbA1c plus élevées, parfois de façon transitoire pendant quelques semaines. En effet, des études récentes ont montré que des périodes de
plusieurs semaines d'évitement de l'hypoglycémie permettent de restaurer la perception des symptômes d'alerte neuro-végétatifs de l'hypoglycémie, au moins partiellement, et au moins lorsque le
diabète a moins de 15 ans.
I 4 2 Eduquer le patient et son entourage
Il convient d'insister sur l'éducation du patient vis-à-vis du risque hypoglycémique et sur la vérification, lors des consultations, de l'adéquation de ses comportements :
- revoir avec le patient ses symptômes même minimes d'hypoglycémie et lui proposer de s'entraîner à deviner son taux de glycémie en comparant la valeur supposée à la " glycémie réelle "
mesurée (25)
-s'assurer que le patient a sur lui en permanence une carte de diabétique précisant son traitement et rappelant la conduite à tenir en cas d'hypoglycémie. Il doit également avoir en permanence à
portée de main (dans sa poche) l'équivalent de 15 grammes de glucides d'ingestion facile (3 sucres n4) (voir encadré)
-contrôler sa technique de remplissage de la seringue et d'injection (ou d'utilisation des stylos à insuline). Il convient de rappeler ici la différence de concentration de l'insuline en
cartouche (100 unités/ml) à l'usage exclusif des stylos, et de l'insuline en flacon (40 unités/ml) pour les seringues, en insistant sur les risques inhérents à la disponibilité sur le marché de
ce double dosage. Par ailleurs, il convient de prescrire des
aiguilles courtes (mais pas très courtes) ou de conseiller au malade de pincer la peau lors de l'injection chez les personnes minces, ayant un
panicule adipeux sous-cutané réduit, pour éviter que l'injection d'insuline ne soit faite en intra-musculaire, (26). Les points d'injections doivent être changés de façon à éviter la survenue de
lipohypertrophies. En cas de lipohypertrophies, il convient de ne plus injecter d'insuline dans les zones concernées afin d'éviter les aléas de résorption. Pour limiter la variation de
résorption, on conseille aujourd'hui de choisir le même territoire (bras, cuisses, ventre, fesses) pour une injection d'horaire donné.
-proposer si nécessaire des collations dans la deuxième moitié de la matinée et au milieu de l'après-midi pour éviter la survenue d'hypoglycémies en fin de matinée et/ou en fin d'après-midi. Ces
collations sont toutefois facultatives, dépendant de l'évaluation du risque hypoglycémique (voir encadré)
-conseiller, en cas d'activité physique programmée prolongée, de diminuer la dose d'insuline de l'injection précédente de 25 à 50 %, de contrôler de façon répétée sa glycémie capillaire, de
prendre des collations supplémentaires adaptées. En cas d'effort non programmé ou en cas d'effort intense bref, contrôler la glycémie et prendre des collations, en privilégiant pendant l'effort
les sucres d'absorption rapide (eau sucrée, jus de fruit, ...).
Dans tous les cas, le malade sera prévenu de la prolongation pendant 12 à 24 heures de l'effet hypoglycémiant d'un effort intense soutenu. En conséquence, le malade diabétique insulino-dépendant
diminuera les doses d'insuline retard du soir de 25 à 50 % et/ou prendra une collation suffisante au coucher après une journée d'activité physique intense, pour éviter la survenue d'hypoglycémie
nocturne.
-rappeler que la plupart des sports sont autorisés aux diabétiques insulino-dépendants moyennant le respect des précautions recommandées. En revanche, le risque hypoglycémique contre-indique les
sports tels que l'escalade ou la plongée en solitaire, la course automobile (mais pas les rallyes) et le pilotage d'avion... De même, certains métiers sont interdits aux diabétiques
insulino-dépendants, en raison du risque hypoglycémique : chauffeurs de transports en commun, chauffeurs routiers, chauffeurs de taxi, pilotes d'avion, militaires, grutiers, couvreurs, ...
-recommander au malade diabétique insulino-dépendant, lors de ses trajets en voiture (surtout s'ils sont longs), de contrôler la glycémie capillaire avant de prendre le volant. On lui conseillera
de s'arrêter toutes les deux heures pour contrôler sa glycémie capillaire et de prendre si nécessaire des collations. On insistera sur la nécessité d'avoir du sucre à portée de main dans la
voiture et de s'arrêter immédiatement au moindre malaise.
-revoir avec le malade, grâce à la lecture du carnet d'auto-surveillance glycémique, l'adéquation de ses décisions thérapeutiques pour la prévention ou le traitement d'une hypoglycémie. La tenue
du carnet d'auto-surveillance permet également de comptabiliser les hypoglycémies, d'en repérer les heures et les conditions de survenue.
-rappeler que le resucrage initial lors de l'hypoglycémie doit être effectué d'emblée avec 15 à 20 grammes de glucides (1 sucre pour 20 kg chez l'enfant), le contrôle de la glycémie capillaire
étant réalisé secondairement immédiatement après ce premier resucrage. Si ce contrôle montre une glycémie inférieure à 0,40 g/l, une deuxième dose de resucrage peut être ingérée sans délai, mais
la persistance d'une sensation de malaise ne doit pas amener le malade à continuer son resucrage sans contrôle de la glycémie (après un délai d'environ 30 minutes). En effet, l'absorption de
quantités plus importantes de glucides n'entraîne pas un resucrage plus rapide, mais seulement une hyperglycémie secondaire plus importante. D'autre part, l'impression de malaise peut durer
pendant plusieurs heures alors que la glycémie est remontée au dessus des valeurs normales.
-organiser la formation de l'entourage à la reconnaissance et au traitement de l'hypoglycémie. L'entourage doit notamment être averti des symptômes d'alerte de l'hypoglycémie (pâleur soudaine,
sueurs, mydriase, tremblements, mouvements anormaux, "bizarrerie", changement brusque de l'humeur à type d'irritation plus que de jovialité, ralentissement du débit verbal, lenteur de l'idéation,
propos incohérents, absences, confusion, ..), de l'urgence du resucrage, de la fréquence du déni de l'hypoglycémie chez les diabétiques. En cas de déni du malaise par le diabétique, il est en
général inutile de chercher à le convaincre qu'il est en malaise, il faut, par contre, essayer de le resucrer sans brusquerie ou favoriser son auto-resucrage. Il importe de vérifier que le
patient ait à son domicile, sur son lieu de travail et ses lieux de loisirs des ampoules de Glucagon ® non périmées et des seringues et qu'un membre de son entourage est capable de l'injecter, en
rappelant que lorsque le malade a repris connaissance, il importe d'assurer un apport glucidique oral pour éviter la rechute de l'hypoglycémie. Les équipes soignantes doivent donc apprendre la
manipulation du Glucagon ® à l'entourage. Le patient aura également à son domicile des ampoules de soluté glucosé hypertonique à 30 % à injecter en intra-veineux par une infirmière ou un médecin
en cas de coma hypoglycémique profond.
I 4 3 Diminuer le risque d'hypoglycémie nocturne (27)
-en intensifiant l'auto-surveillance glycémique lorsque des doses importantes d'insuline (supérieures à 0,85 U/kg chez l'enfant, 1,2 U/kg chez l'adolescent, à 0,75 U/kg chez l'adulte) s'avèrent
nécessaires
-en conseillant le plus souvent une limitation du pourcentage d'insuline rapide injectée avant le dîner à moins de 30 % de la dose totale d'insuline injectée le soir
-en demandant au patient de contrôler systématiquement la glycémie au coucher avant de prendre une collation contenant des glucides lents si celle-ci est inférieure à une valeur seuil fixée
individuellement (le plus souvent autour d'1,40 g/l, mais pouvant aller de 1,20 à 2 g/l)
-en fixant pour objectif une glycémie au réveil, non pas normale, mais de l'ordre de 1,40 g/l, voire 1,60 g/l, lors d'un traitement par multiples injections et de l'ordre de 1,20 g/l lors d'un
traitement par pompe
-en lui conseillant de contrôler de façon systématique la glycémie vers 3 heures du matin par exemple 1 fois ou 2 fois par mois (le risque de glycémie inférieure à 0,50 g/l est évalué à 30 %
chaque nuit, 80 à 90 % de ces hypoglycémies nocturnes étant asymptomatiques). Des hypoglycémies nocturnes répétées seront systématiquement recherchées en cas de perte de perception des symptômes
neurovégétatifs d'alerte de l'hypoglycémie ou en cas de discordance entre une HbA1c satisfaisante et des glycémies diurnes élevées.
http://www.alfediam.org/membres/recommandations/alfediam-hypoglycemie.asp