Un diabétique sur la toit du monde
Il s'agit du projet d'un sportif diabétique, qui s'est fixé comme objectif d'escalader un sommet de 8000 mètres en l'an 2004. Par amour pour la montagne, mais également pour se prouver à
lui-même, ainsi qu'à tous les diabétiques, que la maladie n'est pas un obstacle infranchissable à la réalisation d'un rêve.
La première étape - l'escalade du Mt McKinley (6193m) en Alaska - a été couronnée de succès au mois de mai de cette année.
La première étape
Le Mont McKinley et son ascension
C'était le 09 mai de cette année, que je montais enfin à bord de l'avion à l'aéroport de Luxembourg, avion à destination d'Anchorage en Alaska en passant par Amsterdam et Minneapolis. Le
voyage de 27 heures m'a semblé éternel. Pendant les vols, j'étais occupé à adapter ma glycémie par des injections répétées de faibles quantités d'insuline, afin de pouvoir compenser le
décalage horaire de dix heures. En même temps, je pouvais constater que la tension et la nervosité interne des dernières semaines commençaient à diminuer.
Après l'arrivée, je devais non seulement subir les effets du jetlag, mais j'avais également du mal à m'habituer au fait qu'à cette époque de l'année, en Alaska, il reste jour pendant la
nuit.
Pendant mon séjour de 2 jours à Anchorage, j'ai fait la connaissance des autres participants de l'expédition et de nos guides. Nous formions un groupe international avec un spectre d'âge
assez large, allant de 25 à 69 ans ; faisaient partie de ce groupe, deux anglais, un australien, un espagnol vivant eu Venezuela, un américain, une femme médecin à Singapour et moi, le seul
luxembourgeois.
Nos guides étaient:
Chris KERRICK, âgé de 32 ans de Tacoma-Washington ; ce chef d'expédition a vécu 4 succès d'escalade pour 6 essais sur le Mt. McKinley ou Denali.
Ryan CAMPELL, également âgé de 32 ans, originaire de Juneau en Alaska, pour la troisième fois sur le Denali.
Andy WISE, 27 ans, vivant à Conway-Washington, dont c'était la première expérience de guide sur le Denali.
Lors de la première prise de contact, j'ai informé notre groupe sur mon diabète et spécialement sur les symptômes et le traitement à adopter en cas d'un malaise hypoglycémique de ma
part.
Suivait ensuite un contrôle rigoureux de notre matériel : il ne fallait rien laisser au hasard lors de l'ascension du Denali.
Le lendemain, nous chargions la remorque d'un van gigantesque avec tout notre matériel: 5 tentes, dont une pour la cuisine, ravitaillement pour 26 jours, 10 paires de chaussures spéciales
pour la neige, des cordes et le bagage personnel des dix participants de l'expédition. Nous quittions Anchorage, une parmi de nombreuses autres villes américaines, édifiée selon un plan
rigoureux mais manquant totalement de charme, direction Talkeetna, porte donnant sur le parc national du Denali.
Toute expédition doit obligatoirement être enregistrée officiellement auprès du "Parc Rangers Service", où nous étions également mis au courant des dispositions très strictes à respecter au
niveau de l'environnement. Tous les déchets incombant pendant l'expédition doivent être ramenés et "exportés".
Le camp de base et le camp 4 (Medical Camp) dispose de toilettes fixes, alors que pendant l'escalade proprement dite, nous devions emmener une toilette sous forme d'un saut, équipé d'une
lunette et de sacs en plastique biodégradables. Il est autorisé de décharger ces sacs remplis dans des fontes des glaciers, marquées spécialement à cette fin.
Il nous a fallu trois vols dans une machine à un moteur pour transporter notre groupe et tout son matériel au niveau du camp de base, situé au niveau du bras sud-est du glacier géant
Kahiltna. Ce vol était à tel point fascinant, qu'il est difficile de trouver les mots appropriés pour le décrire.
A un niveau de 2295m au-dessus du niveau de mer, nous avons dressé notre premier camp. Ce camp comprenait deux tentes pour trois personnes, deux tentes pour deux personnes, et une tente
relativement confortable pour la cuisine ; cette dernière tente constituait le refuge pour se réchauffer lorsqu'on faisait la cuisine et était synonyme d'un excellent ravitaillement. Je
partageais ma tente avec le médecin, Shani Tan.
La stratégie de notre groupe, nommé "Mountain Trip 3 " était celui du "double carriage", ce qui signifie que nous déplacions notre camp en deux étapes. Le premier jour, nous transportions
le ravitaillement et le matériel personnel, utilisé seulement ultérieurement, dans les sacs à dos ou, en début de l'expédition, par traîneaux jusqu'à un dépôt provisoire juste avant le
prochain camp. Avant de redescendre, il fallait cacher tout le matériel sous la neige. Le deuxième jour, on démontait le reste du camp avant de le déménager. Cette stratégie a deux
avantages : les charges à transporter sont moins lourdes (selon l'étape, de 25 à 35kg) et le fait de monter et de redescendre permet une adaptation progressive à la hauteur.
La réalisation d'un bon équilibre glycémique ne s'avérait pas trop compliquée. Le soir, avant de me retirer dans mon sac de couchage, j'injectais mon insuline de base (NPH). Selon l'étape
du jour suivant, j'injectais en principe la moitié ou un tiers de la dose utilisée dans des conditions normales. Pendant toute l'expédition, je n'ai utilisé qu'une seule fois de l'insuline
à action rapide, à savoir pendant la descente.
Le matin et le soir on avait droit à un repas chaud, alors que pendant les étapes je ne consommais presque que des glucides sous forme de sucreries (Bounty, Snickers, M&M's, Power-Gel,
gommes, etc), ; à cause de l'effort physique journalier intense, je n'avais aucun problème d'utiliser complètement ces sucres rapides et ma glycémie, qui se situait en moyenne entre 80 et
120 mg/dl, n'est jamais montée au-dessus de 200 mg/dl.
Jusqu'à l'arrivée au camp 4, le camp médical à 4320m d'altitude, nous avons respecté notre plan de temps. C'est ici, que j'ai rencontré Martine FARENZENA, l'alpiniste luxembourgeoise, qui a
réussi à escalader le Mt McKinley, grâce à une performance remarquable, en seulement sept jours.
C'est ici également, qu'ont commencé nos problèmes. Après avoir vaincu des passages difficiles comme, "Ski Hill", "Motocylce Hill" et "Windy Corner" sans problèmes, nous devions maintenant
affronter la "Headwall" un mur en glace raide, équipé de points d'attache fixes.
Au camp médical, on remarquait un changement de température. Jusqu'à présent, j'avais dû me protéger davantage contre le soleil intensif que contre le froid. Ma consommation journalière de
liquides était de cinq à sept litres.
Le matin, les températures se situaient aux alentours de -25°C, ce qui faisait que le rite matinal de quarante minutes, comprenant - s'habiller, faire les bagages, mettre l'équipement de
sécurité, le harnais et les crampons - s'avérait être un exercice d'échauffement assez dur.
Nous avons escaladé le "Headwall" une première fois, afin de créer un dépôt au niveau du "Washburn's Thomb" à 4990m. Lors de la descente, Shani a eu de sérieux problèmes, car elle avait
peur de ce mur en glace très raide. Pendant la journée suivante, qui était en principe destinée au repos, un violent vent nous a surpris ; pendant sept heures, nous avons été occupé à
réparer notre camp, sous un vent très fort et un froid glacial, afin d'éviter qu'il ne s'envole. En soirée, le vent s'est arrêté d'un instant à l'autre.
Le mercredi 22 mai peut être considéré comme journée noire : on avait envisagé de gagner le camp à 5220m d'altitude, mais après avoir vaincu le fameux
"Headwall", la tempête de vent a repris de plus belle, et continuer notre marche sur la crête exposée de la "West Buttress Route" aurait pu mettre notre vie en danger. Nos chefs
d'expédition ont donc pris la décision de faire demi-tour.
Lors de la descente, nous sommes retrouvés longtemps immobilisés dans les cordes fixes, étant donné qu'un des crampons de Shani a cassé. Ryan, qui était à la fin du groupe et, de ce fait,
très exposé au vent, souffrait d'engelures au niveau des lèvres. Dans ces conditions, la descente devenait une torture, d'autant plus que le lacet de mon crampon s'était déchiré, de sorte
que je devais également continuer avec un seul crampon.
A l'arrivée au camp 4, nos anciennes places étaient occupées et nous avons été obligés de chercher et d'installer un nouvel emplacement. Ce travail nous ayant épuisé complètement, Chris
prit la décision de nous accorder un jour de repos supplémentaire pour retrouver nos forces. En raison des ses engelures, Ryan était obligé d'abandonner et Shani avait pris la même décision
lors de la descente du "Headwall" à cause de son crampon irréparable, ce qui n'était heureusement pas le cas pour le mien.
2 jours d'après nous atteignions enfin le "High camp" à 5330m. L'ascension par "West Buttress Ridge" était techniquement très exigeante mais très spectaculaire. Sur un des côtés, on avait
une vue presque infinie sur la steppe, alors que de l'autre côté on voyait le gigantesque glacier Kahiltna entre le mont Hunter et le mont Foraker. Etant bloqués par une équipe sud-coréenne
lors de l'escalade dans les cordes fixes, nous étions les derniers à atteindre le camp en hauteur.
A nouveau il n'y avait pas d'emplacement libre, ce qui signifiait bêcher la neige et scier des blocs de glace jusqu'à minuit, afin de construire un camp bien abrité. Le jour suivant était à
nouveau un jour de repos.
Le dimanche 26 mai, jour J, nous avons escaladé en deux groupes de quatre personnes, le "Denali Pass". Malgré un soleil brillant, un vent glacial nous faisait souffrir. Ramon Blanco, qui
n'arrêtait pas de photographier, a dû payer par des engelures au niveau des mains, mais ce n'était pas la fin de l'histoire.
A 16h15, nous arrivions au fameux "Football Field", et ce fut un choque pour moi. Sur des vues d'avion, on a en effet l'impression qu'il y a une montée continue depuis Football Field
jusqu'au sommet, alors qu'en réalité, nous nous retrouvions à une hauteur de 5900m en face d'une crête de sommet raide de 300m de hauteur. Ma première réflexion fut: "Encore deux heures !".
Mon moral était au plus bas et Dave Senior était à bout de ses forces. Il montrait les premiers symptômes de la maladie des hauteurs, était presque absent et ne se rendait même pas compte
du fait que ses mains étaient gelées. Ses gourdes d'eau étaient également gelées, ce qui entraînait en plus une déshydratation. Le soleil était toujours présent, mais le vent était
fatiguant. Vers 17h00 nous nous approchions de la crête, mais nous étions de plus en plus souvent obligés de faire de petites pauses.
Mon corps ne voulait plus subir cet effort, mais j'avançais néanmoins, pas par pas. Après 75 minutes, nous avons atteint un petit plateau avant la crête du sommet, à 250m du sommet même.
Cette crête constitue la partie la plus difficile de l'expédition. Quelques mètres en-dessous du sommet nous pouvions enfin déposer nos sacs à dos.
Je pleurais avant même d'avoir atteint définitivement le sommet du Denali à 19h00. Je ne pouvais pas profiter tout de suite de cette vue formidable, car soudainement je me rendais compte
que tous les espoirs, toute la pression accumulée en moi depuis longtemps, ne pesaient plus sur moi : j'avais enfin atteint mon but.
C'est ensuite que j'ai pu admirer la vue fascinante sur l'Alasaka-Range et le glacier Kahiltna. Derrière le mont Frances se trouvait la piste d'atterrissage de l'avion, où notre expédition
avait débuté 15 jours avant.
Surpris au sommet, à une température de -35ºC, par un "White Out" (tempête de neige accompagnée de brume épaisse), la descente a pris un tournant dramatique. Au lieu du temps normal d'une
heure et demie à deux heures pour rentrer au camp en hauteur, nous avons mis cinq heures à traverser ce blanc total.
A 23h45, après presque quinze heures, j'atteignais enfin notre camp. Mon premier geste fut de faire un contrôle de ma glycémie : hypoglycémie avec une valeur de
30mg/dl !!
Après avoir mangé une soupe aux nouilles, totalement épuisé, je gagnais mon sac à dos, sans avoir la force de réfléchir sur mon exploit réalisé.
Au cours des deux jours suivants, nous sommes descendus avec tout notre matériel au camp de base, que nous avons quitté le 28 mai pour retrouver la civilisation.
Je sais que j'étais au sommet du Denali, mais j'ai encore du mal à expliquer d'où j'ai pris la force mentale et physique pour y arriver.
J'espère cependant avoir pu donner un bon exemple de quoi un diabétique peut être capable.
Je veux profiter de l'occasion pour remercier tous ceux qui ont supporté et vont, j'espère, continuer à supporter le projet "Diabète 8000".
Patrick Hoss
Toutes les personnes intéressées peuvent continuer à soutenir le projet par leurs dons au CCP IBAN LU95 1111 0215 7238 0000 de l'ALD avec la mention "Diabète 8000"
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