Telle une œuvre en construction, le cerveau se modifie et se transforme sans cesse par notre interaction avec l’environnement et les relations avec les autres. Et encore plus si on lui donne quelques bons coups de pouce...
Telle une œuvre en construction, le cerveau se modifie et se transforme sans cesse par notre interaction avec l’environnement et les relations avec les autres. Et encore plus si on lui donne quelques bons coups de pouce...
Ces dix dernières années, les neurosciences ont fait un bond fantastique en matière de connaissance du cerveau. On a ainsi découvert son étonnante plasticité et démontré que, construit, le cerveau adulte continue à s’adapter et à changer. On a appris que de nombreuses hormones exercent sur lui leurs effets et sont largement impliquées dans le fonctionnement du cortex frontal, siège de la réflexion et de la décision. On sait, enfin, que l’on peut devenir âgé sans vieillir et maintenir le cerveau en pleine forme. A condition de suivre le bon mode d’emploi. Explications de Bernard Sablonnière, médecin biologiste et professeur de biochimie et de biologie moléculaire à la Faculté de médecine de Lille, et auteur d’un livre passionnant.
Le Vif/L’Express : Longtemps, on a cru que l’homme naissait avec un cerveau figé une fois pour toutes. On découvre qu’en fait, celui-ci grandit et évolue.
Bernard Sablonnière : Notre cerveau a 5 âges. Tout commence par le « big bang ». Le cerveau commence à s’ébaucher vers le 28e jour de la grossesse, alors que l’embryon n’a qu’une taille de grain de riz ! Les premiers neurones apparaissent, par des divisions cellulaires nombreuses. Trois mille nouveaux neurones sont construits par seconde, soit 260 millions par jour ! Chez un fœtus de 6 mois, on dénombre 90 milliards de neurones, autant que le nombre d’étoiles de la voie lactée. Le deuxième âge du cerveau est compris entre le 7e mois de la grossesse et la 12e année de vie. A ce moment-là, les connexions se développent. Chaque neurone émet plusieurs tentacules, longs de quelques millimètres ou de quelques centimètres. Les petits, appelés « dendrites », se connectent aux voisins proches. Les tentacules plus longs, nommés « axones », permettent de se connecter à distance. En moyenne, un neurone établit 5000 connexions (ou synapses) avec ses voisins. Ce travail est considérable car un million de connexions se créent par seconde. A l’âge de 12 ans, le cerveau est complètement formé mais pas complètement mature.
A ce moment-là, il y a trop de connexions et il faut en éliminer certaines...
Oui, ce grand élagage constitue le troisième âge et se situe entre 12 et 25 ans. On peut comparer le cerveau à un arbrisseau qui a formé beaucoup de branches petites et malingres. Elles vont s’éliminer petit à petit. Pendant ce troisième âge, les connexions sont recouvertes par la myéline, une sorte de gaine isolante. Il faut isoler plus de 20 kilomètres de « fils électriques » ! La vitesse des connexions passe de 1 m/seconde à 100 m/seconde, le cerveau se met en mode « haut débit ». L’imagerie cérébrale le montre très clairement. Les modifications des connexions neuronales expliquent une véritable mue du comportement observé chez les adolescents avec, à la clé, une grande instabilité émotionnelle, beaucoup d’impulsivité et l’impossibilité de prendre une décision. Le quatrième âge du cerveau concerne la vie d’adulte, entre 25 et 70 ans. Tout le système fonctionne bien, la neurogénèse est très active, de nouveaux neurones se forment, notamment dans l’hippocampe, le cerveau de la mémoire qui se régénère très bien. Après 70 ans commence le 5e âge du cerveau. Certaines connexions vont se rabougrir, comme les branches d’un sapin. Commence le déclin cognitif, les clés chimiques fonctionnent moins bien. Le poids du cerveau se réduit de 15 %. On perd des neurones mais contrairement aux idées reçues, la perte n’est pas énorme et correspond à 5 % du nombre total des neurones.
Nous n’avons pas un seul cerveau, mais plusieurs. Quels sont les plus importants ?
Le cerveau frontal ou le cortex frontal est très important, c’est celui qui s’est le plus développé. Il réfléchit, il choisit le comportement, récupère un tas d’informations et décide. En-dessous du cortex se trouve le cerveau émotionnel ou limbique où se construisent toutes les émotions. Ce cerveau est très bien développé chez l’homme. Derrière les tempes, formant un bandeau, se trouve l’hippocampe où siège la mémoire. L’hippocampe récupère les informations immédiates. A plus long terme, elles sont envoyées, consolidées et stockées, dans d’autres régions dont le lobe frontal.
Quel est le rôle des hormones dans son fonctionnement ?
Nous avons trois clés chimiques principales. La dopamine est l’hormone de l’envie et de la décision rapide. Quand on est pressé, elle nous permet de réfléchir plus vite et de bouger plus vite. On a découvert récemment qu’il existe des variations du gène des récepteurs de la dopamine qui explique l’envie de vivre chez les centenaires. L’ocytocine est la deuxième hormone majeure. On la connaît depuis une quinzaine d’années. C’est l’hormone de l’empathie, du contact social, de l’amitié et de l’amour. Pour vous donner un exemple : les primates sont très agressifs, leur esprit de compétition est très élevé. Chez l’homme, les gènes ont évolué, on ne se tape plus dessus. L’homme fait confiance à l’autre grâce, notamment, à l’ocytocine. La sérotonine, la troisième hormone majeure, module le fonctionnement de certaines régions du cerveau. Quand on éprouve un désir trop important ou quand on vit une passion amoureuse dévorante, la sérotonine va calmer le jeu. Quelqu’un qui a un bon transporteur de sérotonine, bien équilibré, se sentira heureux modérément et sans excès. Il gérera mieux les situations angoissantes.
Comment le cerveau se nourrit-il ?
Son carburant préféré, c’est le sucre. Mais il pompe ce dont il a besoin, à savoir 5 grammes par heure et cela ne sert à rien de lui donner de trop. Le cerveau a besoin d’oxygène pour maintenir en bon état ses vaisseaux. Attention donc à l’hypertension – à partir de 50 ans, il faut surveiller régulièrement sa tension – car elle stresse beaucoup le cerveau. L’hypertension est un facteur de risque, qui accélère le vieillissement cérébral et altère les vaisseaux sanguins du cerveau.
Pourquoi insistez-vous tellement sur l’exercice physique pour l’entretenir ?
On connaît l’influence de l’exercice physique sur le cerveau depuis dix ans. Quand on court, par exemple, les battements cardiaques et la tension augmentent, les vaisseaux se dilatent et libèrent des neurotrophines. Ce sont elles qui vont réparer les connexions cérébrales. Il faut pratiquer l’exercice physique tous les jours, pendant 30 minutes et pas une fois par semaine pendant trois heures. La régularité est très importante. N’importe quel sport est bon du moment que le cœur augmente son travail de 30 %.
Vous pointez aussi l’importance de l’alimentation...
On s’est rendu compte de l’influence de l’alimentation sur le cerveau en faisant des recherches sur le diabète. L’excès de poids, tout comme l’hypertension, d’ailleurs, crée des micro-infarctus d’une taille de l’ordre du millimètre. La multiplication et l’accumulation de ces petites lésions provoque l’altération des connexions nerveuses, surtout dans l’hippocampe, ce qui peut déclencher, au bout de quelques années, l’apparition de troubles de la mémoire. Il est important de surveiller son poids, avoir un bon équilibre de graisses, surtout végétales, et privilégier des éléments antioxydants comme le curcuma, le thé et le café. Très neuroprotecteurs, ils évitent à certaines protéines dans le cerveau de rouiller. On conseille 3 tasses de café ou de thé par jour. Les polyphénols, contenus dans les fruits rouges, notamment, renforcent la tonicité des vaisseaux sanguins. De manière générale, il faut manger moins de viande et plus de végétaux, mais il faut garder les protéines (contenues dans les pois chiches, le couscous ou les fèves) pour ne pas perdre les muscles.
Selon vous, pour « booster » le cerveau, les relations sociales sont plus importantes que les activités intellectuelles ?
Aujourd’hui, on réalise de nombreuses études dans les maisons de retraite. Leurs conclusions démontrent que la stimulation intellectuelle marche mal quand la personne est isolée. En revanche, quand on la pratique en groupe, en jouant au scrabble avec 5 ou 6 personnes, par exemple, on crée le sentiment de compétition. La sécrétion de dopamine est stimulée par le sentiment d’être bien ensemble. Il faut maintenir des contacts avec des personnes du même âge.
La méditation peut-elle enrichir le cerveau ?
La méditation de pleine conscience force la personne à être réceptive aux petits détails. C’est comme quand vous suivez un cours d’œnologie, vous êtes obligé de mettre un vocabulaire très précis sur des détails. La méditation améliore la perception. Grâce à l’imagerie médicale, on perçoit ce cheminement cérébral ainsi qu’une stimulation et un renforcement de certaines zones du cerveau, ce qui peut réparer certains circuits. Pendant la méditation en pleine conscience, on ressent pleinement le bien-être. L’imagerie médicale est en train de démarrer. Dans quelques années, elle apportera des preuves réelles.
Le cerveau. Les clés de son développement et de sa longévité, par le Pr Bernard Sablonnière, éd. Jean-Claude Gawsewitch, 255 p.
Par Barbara Witkowska
http://www.levif.be/info/actualite/sante/comment-booster-son-cerveau/article-4000635091991.htm?nb-handled=true&utm_medium=Email&utm_campaign=Newsletter-RNBDAGLV&utm_source=Newsletter-25/05/2014